Pendant 28 ans, elle a enseigné le piano au conservatoire de Besançon. À 96 ans, dont 88 de piano, Lucette Touzet continue d’exercer avec passion son art. Et joue parfois encore lors de concerts.
Sa partition s’étale sur presque un siècle. Si les doigts deviennent un peu plus raides, la concentration parfois plus difficile, les souvenirs restent vifs, aussi précis et sonores qu’une note de musique. Née en 1929, Lucette commence le piano à 8 ans. Sa famille pourtant n’est pas musicienne. Mais elle est indubitablement tournée vers les arts. “À Trouville-sur-Mer, avant la guerre, maman m’a présenté un professeur organiste. Si je n’avais pas trouvé le professeur adéquat, j’aurais arrêté. Si on commence comme il faut, on continue”, observe Lucette qui a fait sien ce mantra pendant ses longues années d’enseignement.
Si de l’aveu de son amie Florence Hafner, chanteuse lyrique, “Lucette a ce charisme qui permet de transmettre à l’instrument l’intention musicale que l’on veut mettre, et de transmettre l’émotion”, la pianiste aura attendu ses 18 ans pour développer sa technique. Elle étudie alors à l’École normale supérieure de musique de Paris pour découvrir l’histoire de la musique ou le déchiffrage de partition. Elle en sort finalement deux ans plus tard diplômée d’une licence d’enseignement avec félicitations. “L’enseignement s’est fait naturellement, avec la passion du piano”, retrace la nonagénaire.
Dispensant des cours à l’École normale supérieure, et à domicile, Lucette a aussi été répétitrice lors de cours de gymnastique rythmique. Elle s’établit finalement à Besançon en décrochant le poste de professeure au conservatoire. Elle y restera près de 30 ans jusqu’à la retraite. “J’ai eu des as, relève Lucette fièrement. Guillaume Bellom et Guillaume Coppola, ce sont mes deux champions. Ce travail ne m’a jamais lâché et moi non plus.” Tous les jours, la pianiste s’astreint à une discipline : jouer du piano trois fois une demi-heure ou deux fois trois quarts d’heure. “Je m’impose une discipline sinon c’est la fin, c’est le désastre parce qu’on a vite fait de dégringoler.”

Fin septembre, Lucette a joué un concert aux côtés de Florence Hafner et du pianiste Sylvain Morizet, un ancien élève. “Lucette a l’art de trouver des mots simples qui marquent pour la vie. Elle parle de “la qualité du silence” dans l’écoute du public. Ces paroles m’accompagnent encore aujourd’hui, et je suis toujours touché de la voir présente aux quelques concerts que je donne à Besançon, souligne Sylvain Morizet. Certains de ses conseils me restent encore en mémoire. Je pense par exemple à sa question : “Que signifie le mot Scherzo ? Il veut dire : je plaisante.” Un autre regard s’imposait alors. J’ai d’ailleurs joué ce scherzo de Schubert lors du concert du 24 septembre.”
Lors de ce concert, Lucette a laissé filer ses doigts sur le piano sur l’Impromptu en sol bémol majeur de Schubert et sur le 1er mouvement du concerto italien de Bach, “mon père bien aimé”, glisse-t-elle malicieusement. Le compositeur allemand a été le compagnon de vie de Lucette, “il a toujours été là sans que je le veuille.”
L’amour exigeant du piano a laissé peu de place pour fonder une famille, même si Lucette l’avoue, elle aurait aimé avoir des enfants. Pour autant, Lucette, durant ses décennies d’enseignement, a su transmettre une part d’elle-même en partageant son amour du piano. Telle une note qui se propage dans l’air et qui trouve des échos dans chacun de ses élèves. Son héritage est puissant et sans fausse note.
