Dans un contexte économique très tendu, avec une croissance atone et une incertitude politique qui pèse sur leur moral, les industriels du Haut-Doubs tiennent malgré tout le cap. L’innovation et la diversification sont une des clés de leur salut alors que certains secteurs d’activité donnent des signes de faiblesse. Pour les aider, différentes instances interviennent à leur côté. Alors tâtons le pouls de l’industrie locale qui conserve, et heureusement, des capacités de résilience et de rebond insoupçonnées.
Économie - Trop de nuages dans le ciel des industriels locaux
Au regard de l’instabilité politique et de la conjoncture économique, le moral des entreprises industrielles n’est pas toujours au beau fixe. L’U.I.M.M. du Doubs s’inquiète et pressent des mauvaises nouvelles à venir du budget 2026. Pour autant, dans la région, l’Agence Économique Régionale B.F.C. apporte son aide à ces entreprises pour développer ou installer leur activité.
Le baromètre industriel de l’État est tombé pour le mois de novembre. Cet outil piloté par la direction générale des entreprises doit permettre de mesurer l’évolution de la réindustrialisation en France. Au national, à peine 9 ouvertures ou agrandissements d’usines ont été relevées. En Bourgogne-Franche-Comté, ce chiffre s‘établit à 1 avec une ouverture nette d’usine. En détail, sur le premier semestre, 5 sites industriels ont ouvert ou connu une extension significative, tandis que 4 usines ont fermé ou connu une réduction significative. Parmi les secteurs qui ont connu une activité significative, on compte « deux extensions significatives dans le luxe, une ouverture de site dans l’industrie verte et une extension significative dans le recyclage. »
Doit-on se réjouir de ce chiffre positif ? Damien Tournier, dirigeant de Schrader S.A.S. à Pontarlier et président de l’U.I.M.M. du Doubs (le premier syndicat des entreprises de métallurgie) apporte nuances et un peu d’ombre au tableau. « Après le Covid, on parlait de souveraineté industrielle et technique, on a tout oublié. » Trop de taxes, trop de contraintes réglementaires… « Nos entreprises ne gagnent pas d’argent. On perd un temps fou et de l’argent pour essayer de faire la même chose. On travaille plus sur la réglementation que sur l’innovation. Il faut trouver un juste milieu. On est inquiets, c’est anxiogène. On essaie d’alerter nos représentants politiques qui prennent des décisions funestes et mortifères pour les entreprises. Dans le budget 2026, combien de mauvaises nouvelles on va devoir compenser ? »

En premier lieu, le secteur automobile souffre. « Nous n’avons pas de visibilité. Certains investisseurs se positionnent ailleurs plutôt qu’en Europe », reprend Damien Tournier. Pour le dirigeant, les automobiles françaises sont trop chères par rapport à la concurrence asiatique et américaine. Dans le Doubs, 45 % des emplois industriels sont en lien avec l’automobile. « Qu’est-ce qu’on fait d’autre ? » s’interroge le président de l’U.I.M.M. « Il n’y a pas d’équivalence à l’automobile à l’échelle des volumes. » Chez Schrader, les employés ne travaillent plus le week-end. 30 personnes en C.D.I. ou intérimaires ont été remerciées. « Ça ne se voit pas forcément mais c’est impactant. Ce sont des compétences qu’on ne remplace pas, déplore Damien Tournier. On reporte des décisions ou on ne les prend pas. La partie défense et aéronautique va un peu mieux, mais ce sont des programmes anciens qui tournent… Il y a un vrai sujet de compétitivité. La Chine est en train de qualifier le premier avion de ligne. On a 7-8 ans d’avance dans l’aéronautique mais si on ne se protège pas, ça fera comme l’automobile. Dans le secteur de la Défense, qui est un peu plus souverain, on arrive à se protéger avec de vraies filières. »

Conscient de la période sombre et pessimiste que traversent les entreprises, Jérôme Durain, président de la Région a réaffirmé le développement économique du territoire comme « au coeur du coeur des préoccupations », alors qu’il visitait l’usine Cryla à Besançon, spécialisée dans l’usinage, le décolletage, la découpe ou encore l’injection. « Il faut trouver notre place sur la carte de France et de l’Europe, nous avons une culture industrielle, on ne mange pas que du comté et on ne boit pas que du vin » dit-il.
Pour déployer la stratégie économique de la région, la collectivité s’appuie sur son bras armé : l’Agence Économique Régionale de Bourgogne-Franche-Comté dont la mission vise à favoriser le développement économique régional, prioritairement en faveur de l’industrie, des services à l’industrie et des start-up. « Nous apportons un appui tant aux entreprises endogènes (déjà présentes sur le territoire) qu’auprès de celles exogènes, non présentes sur le territoire et issues de la prospection », explique Anne-Gaëlle Arbez, directrice adjointe de l’A.E.R. B.F.C. et responsable du pôle développement économique. Société publique locale, l’A.E.R. B.F.C. regroupe 86 Établissements publics de coopération intercommunale, soit 75 % des E.P.C.I. de la région. Ses piliers sont l’accompagnement, l’innovation et la transition énergétique. « L’A.E.R. B.F.C. est au coeur de l’accompagnement des projets d’entreprises via la mobilisation des dispositifs d’accompagnement techniques ou financiers publics ou même privés », reprend la directrice adjointe. « Nous mettons un point d’honneur à agréger les compétences présentes en région, et travaillons avec l’ensemble des partenaires du développement économique. Cette connaissance et proximité, au profit des projets des entreprises, est une des forces de notre région. »
Face à la crise politique et économique, l’accompagnement de l’A.E.R. B.F.C. est plus centré en ce moment sur la mobilisation de financements pour que les entreprises continuent de se développer ou passent un cap. L’A.E.R. B.F.C. intervient sur une dizaine de filières, allant du luxe, aux mobilités, à l’hydrogène, aux biothérapies, à l’alimentation, l’énergie, l’aéronautique, la logistique, etc. Entre 500 et 600 projets tous confondus sont en cours, portant sur l’innovation, le développement, le financement, l’implantation. Un nombre en baisse, estime Anne-Gaëlle Arbez, car il y a moins de dispositifs en face. Reste qu’en France, l’investissement industriel se monte à 660 millions d’euros pour 42 000 entreprises industrielles, dont 1 200 en Franche-Comté.
Interview - “Bien sûr qu’il faut continuer à aider les entreprises !”
Arnaud Marthey, par ailleurs maire de Baume-les-Dames, vient d’être nommé à la tête de l’Agence économique régionale (A.E.R.). Il en explique le rôle et les objectifs.
C'est à dire : À quoi sert l’Agence économique régionale ?
Arnaud Marthey : Son rôle principal est de favoriser le développement économique régional dans toutes ses dimensions, en relation avec l’ensemble des communautés de communes ou d’agglomérations de la région, les intercos ayant la compétence économique. Le deuxième volet des interventions de l’A.E.R., c’est directement auprès des entreprises de la région qui ont un besoin d’accompagnement, de la maturation de leur projet, à l’acquisition d’un foncier en passant par l’accueil d’une entreprise extérieure à la région. Nous sommes aussi le relais de Business France quand une entreprise étrangère a un projet d’implantation. L’A.E.R. a également une vision globale et d’analyse des zones d’activités sur l’ensemble du territoire régional. On en compte au total 700, sur 800 hectares, mais 4 seulement proposent des parcelles de plus de 10 hectares. L’autre grande mission de l’A.E.R., c’est le financement de projets au bénéfice des entreprises, pour l’innovation, la robotisation, la cybersécurité, etc.
Càd : Les aides aux entreprises sont en ce moment assez critiquées. Faut-il les maintenir ?
A.M. : Le contexte national est en effet chahuté et cette question des aides directes aux entreprises fait débat, surtout quand on est dans des secteurs d’activités compliqués comme l’hydrogène par exemple, ou longs comme les biothérapies. Mais il est évident qu’il faut que nos entreprises et nos filières soient aidées. Prenons le secteur automobile : il a été aidé à coups de milliards en Chine depuis plus de dix ans et c’est comme ça que l’industrie automobile chinoise a pris une telle avance. On ne peut pas sérieusement dire qu’il faudrait les arrêter ici ! Ma conviction personnelle est qu’on doit bien sûr continuer à aider le développement de nos entreprises.
Càd : Vous êtes souvent au contact des entrepreneurs de cette région en tant que président de l’A.E.R. Quel est leur moral actuellement ?
A.M. : Il est bien sûr variable selon les secteurs d’activité et la taille des entreprises. Ce qui est extrêmement pénalisant pour elles en ce moment, c’est le contexte politique national qu’elles subissent toutes. L’incertitude, c’est le pire des maux pour l’économie. Ça freine les décisions, les investissements, les projets de croissance externe. Il faut impérativement qu’au niveau national on retrouve de la confiance et de la visibilité. Malgré tout, si on regarde les chiffres du deuxième trimestre 2025, ils ne sont pas si mauvais que cela. Mais cet équilibre est fragile, il faut rapidement retrouver la confiance. Nos entreprises commencent à être concurrencées par des pays qui se portent bien, comme l’Italie par exemple.
Càd : Au niveau national, que pèse notre région Bourgogne-Franche-Comté ?
A.M. : Le P.I.B. de notre région a progressé de + 4 % entre 2023 et 2024, il a dépassé les 91 milliards d’euros. On a donc encore de la croissance dans notre région. La B.F.C. est par ailleurs la 3ème région de France à avoir la meilleure balance commerciale, elle est excédentaire de + 2 milliards d’euros. Notre région ne compte que 2,8 millions d’habitants, mais elle a encore une industrie forte. D’où l’importance de continuer à accompagner nos entreprises pour qu’elle reste une région de production. En termes d’emploi, nous restons la première région industrielle de France, on est donc loin d’être une petite région.
Càd : Avec tout de même des symboles forts comme l’automobile qui sont en grande souffrance…
A.M. : Dans ce contexte, soit on se désole, soit on agit. Nous avons décidé de continuer d’agir. Après un premier plan d’aide de 24 millions d’euros au bénéfice de la filière et pour aider les entreprises qui étaient axées à 100 % dans l’automobile à réussir leur diversification dans d’autres branches, la Région remet dans les trois ans à venir 30 millions d’euros pour ces dispositifs d’accompagnement et de diversification. Nous sommes sur un territoire où les entreprises ont de formidables compétences techniques et technologiques, il faut donc qu’on soit au rendez-vous en les accompagnant au mieux !
Propos recueillis par J.-F.H.
