Le Département de la Santé des Forêts vient de sortir une synthèse sur l’état sanitaire des forêts comtoises : elle montre que l’épidémie de typographes se poursuit dans les peuplements d’épicéas de la haute chaîne alors qu’on assiste à un retour à la normale pour les mortalités de sapins pectinés. Explications
Peut-on encore qualifier d’épidémie un phénomène qui se renouvelle avec la même intensité depuis bientôt 10 ans ? « Les attaques de scolytes typographes ont débuté à partir de 2018 en se concentrant d’abord sur les premiers et seconds plateaux avant de se propager à partir de 2022 sur les peuplements d’épicéas situés au-delà de 1 000 mètres », explique Mathieu Mirabel, responsable du pôle Bourgogne-Franche-Comté au Département de la Santé des Forêts.

L’épidémie de typographes a basculé sur la haute chaîne après la sécheresse de 2018. Elle sévit toute particulièrement sur la partie sud du massif jurassien, entre Pontarlier et La Pesse alors que le secteur Pontarlier-Maîche est relativement épargné. Comment expliquer cette différence ? « On a émis plusieurs hypothèses sur le secteur nord où l’épicéa a toujours été moins présent dans les paysages. L’explication principale tiendrait au fait que le secteur nord a été plus touché par les orages en 2022-2023, ce qui l’a aussi préservé du typographe. Cette différence nord-sud est aussi d’actualité côté suisse où le territoire correspondant au canton de Neuchâtel est moins touché que sur la partie vaudoise », avance Mathieu Mirabel. Difficile de nier l’impact du dérèglement climatique.

Depuis 2018, le climat s’est réchauffé de +3°C dans le massif jurassien au-delà de la norme. « Cela correspond à une baisse d’altitude de 500 m. » Assez paradoxalement, les mortalités de jeunes épicéas liés au scolyte chalcographe demeurent toujours très rares. « Le typographe s’attaque uniquement aux épicéas faisant plus de 20 cm de diamètre. » Est-ce reculer pour mieux sauter ? « Pas sûr, estime Mathieu Mirabel. L’avenir nous le dira. On aura dans l’avenir des forêts plus mélangées qu’actuellement donc plus résilientes. »
La disparition de l’épicéa au profit d’essences feuillues comme le hêtre n’est rien d’autre qu’un retour au peuplement naturel qu’on trouvait dans les montagnes jurassiennes avant qu’on ne se décide à planter massivement de l’épicéa. « Les essences pionnières du massif seraient plutôt le hêtre et le sapin. » Le sapin justement, et c’est la très bonne nouvelle de l’année forestière, semble désormais à l’abri des attaques de scolytes du genre Pityokteines sp., celles-ci ont fortement régressé en 2025 comparativement aux années précédentes. Les gros dépérissements observés sur le hêtre en 2019 sont en forte régression. La situation est maintenant stabilisée. « Il ne faut pas sous-estimer la capacité d’adaptation à la sécheresse de certaines espèces qui poussent plus lentement, développent un système racinaire plus profond... »

Les premiers résultats de l’étude menée sur Thanasimus formicarius, principal prédateur du typographe sont tombés. « Plus connu sous le nom de clairon des fourmis, il est présent sur tout le massif jurassien alors qu’il est absent dans les Vosges et les Ardennes. Cette différence s’explique car ce prédateur du typographe a besoin d’arbres avec une écorce épaisse, une caractéristique qu’on trouve seulement dans le Jura. On constate aussi qu’il y a une dynamique différente du clairon des fourmis entre le nord et le sud du massif jurassien. On l’a détecté de façon plus fréquente dans le Nord, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’épidémie y est moins intense. Rappelons aussi que l’objectif n’est pas d’éradiquer le scolyte mais de limiter les pullulations. Depuis 2024 dans le canton de Vaud, on a systématisé l’écorçage des bois. On souhaite développer ce moyen efficace de lutte côté France mais on se heurte pour l’instant à des considérations financières. Sachant bien entendu que le principal facteur de régulation reste lié aux conditions climatiques. »
Quelle stratégie de replantation semble la plus efficace ? Difficile de se prononcer si ce n’est en faveur d’une diversification des arbres y compris en y introduisant des essences plus méridionales. « Le réchauffement climatique va accentuer les froids extrêmes comme les canicules, ce qui rend le choix des essences beaucoup plus complexe. Il faut composer avec ces incertitudes, accompagner le changement en restant humble et très observateur. »

