L’existence même de la filière automobile en France est menacée à entendre Jean-Louis Pech, le président de la Fédération des Industries des Équipements pour Véhicules (F.I.E.V.). L’effondrement de la production est de 63 % depuis 2002 et de 38 % depuis 2020. Interview.

Comment se traduit en chiffres la santé fragile de la filière automobile en France ?
Jean-Louis Pech
: L’industrie en France ne représente plus que 9,4 % du P.I.B. Nous assistons à une désindustrialisation du pays depuis une quarantaine d’années. Une voiture est réalisée à 85 % par des équipementiers. La fédération que je représente totalise 56 000 emplois pour un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros qui fond comme neige au soleil. Rien qu’en Franche-Comté, cette filière représente plus de 500 entreprises et plus de 42 000 salariés. Mais la part de la production française dans l’industrie automobile mondiale ne cesse de reculer.

Dans quelles proportions ?
J.-L.P.
: En 2005, la France représentait 5,5 % de la production automobile mondiale, et 19,6 % de la production européenne. On est tombé aujourd’hui à 1,5 % de la production mondiale et moins de 10 % de la production européenne. C’est un effondrement progressif mais certain de la production française dans l’industrie automobile mondiale.

Jean-Louis Pech est le président de la F.I.E.V., la fédération qui représente la plupart des équipementiers automobiles français.

La production mondiale n’est-elle pas aussi orientée à la baisse ?
J.-L.P.
: Il s’est produit 89,9 millions de véhicules en 2024 contre 94 millions en 2018. Mais les chiffres sont à nouveau repartis à la hausse après la période Covid. Pas pour l’industrie française. En 2002, la France produisait 3,7 millions de véhicules. Ces chiffres ont chuté jusqu’en 2009, il y a eu un petit sursaut ensuite jusqu’en 2011, avec 2,295 millions. Puis est arrivé le choc du Covid dont la France ne s’est jamais remise. Depuis, on est à 1,3 million de véhicules produits par an et on reste scotchés à ce chiffre. C’est le premier choc de volume. À cela il faut ajouter ces dernières années la crise des composants, l’inflation, les problèmes énergétiques et la politique des donneurs d’ordres, ce qui explique qu’on reste à des chiffres très bas.

Nos voisins allemands font mieux ?
J.-L.P.
: Sur une base 100, dans les années quatre-vingt-dix, la France se situait à 20 % en dessous de l’Allemagne. Aujourd’hui, la France est à moins du tiers de la production de l’Allemagne…

Pourquoi ce décrochage par rapport à l’Allemagne ?
J.-L.P.
: L’industrie automobile allemande est faite d’innombrables E.T.I. (N.D.L.R. : entreprises de taille intermédiaire) alors que la France a longtemps favorisé l’émergence de grands groupes et n’a pas suffisamment fait attention à créer des E.T.I. L’Allemagne aussi a toujours eu cette culture d’aider son industrie automobile, via les Länder notamment, en s’appuyant aussi sur des syndicats avec lesquels on peut travailler de manière constructive. Contrairement à la France, grâce à ses sociétés familiales, l’Allemagne ne s’est jamais désindustrialisée. Et le plan de relance en Allemagne, c’était 630 milliards d’euros ! Chez nous, les caisses sont vides…

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Quelles sont les conséquences de ce délitement sur le front de l’emploi ?
J.-L.P.
: En 2007, la France comptait 114 446 emplois dans la filière automobile. En 2019, plus que 68 994 emplois et en 2024, 56 000… Et au train où vont les choses, on s’oriente vers une réduction de plus de la moitié des emplois dans les 5 ans à venir dans la filière automobile. On assiste déjà à des suppressions d’emplois à bas bruit et à des tentatives de diversification de nombreuses entreprises pour quitter ce secteur automobile.

À quels défis est confrontée la filière en cette rentrée 2025 ?
J.-L.P.
: Il y en a plusieurs actuellement. D’abord l’instauration des droits de douane américains qui devraient toucher en premier lieu l’industrie allemande qui exporte environ 600 000 voitures par an aux États-Unis. Et comme on a des équipementiers français qui fournissent l’Allemagne, c’est un malheur qui s’ajoute à un autre malheur. Il y a également la non atteinte des volumes de production et de vente de véhicules électriques produits en France et dans l’Union européenne, ce qui fait que le parc automobile français ne cesse de vieillir. Troisième défi : on est sorti de la période inflationniste mais on avait pris 20 % de surcoûts, qui ont accentué le décalage entre l’Europe et le reste du monde. Il y a enfin l’aspect réglementaire avec la volonté de l’U.E. de passer au tout électrique d’ici 2035 alors même que l’Europe ne maîtrise pas un élément majeur : la fabrication de batteries et les chaînes de valeur autour des matières premières. En résumé, l’industrie automobile est face à des défis qu’elle n’a jamais connus.

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Quel est le moral de vos adhérents, dont plusieurs dizaines sont basées en Franche-Comté et dans le Doubs ?
J.-L.P.
: Nous avons lancé une enquête récemment auprès d’eux dont il ressort que 85 % des entreprises qui nous ont répondu sont déjà dans des mécanismes de désourcing au profit de concurrents basés en Chine. La Chine, c’est 60 millions de véhicules par an et désormais le premier marché mondial. 45 % de nos répondants pensent même fermer leurs sites en France. Je pense qu’une dizaine de sites d’équipementiers devraient fermer dans les 12 prochains mois en France.

Y a-t-il tout de même des motifs d’espoir ?
J.-L.P.
: Le point positif actuel, c’est qu’au niveau européen, il y a désormais une vraie prise de conscience concernant l’électrification. Même les Allemands se rendent compte que ça va être très compliqué d’ici 2035. Un dialogue stratégique s’est donc instauré depuis le rapport Draghi. Mais au-delà de cela, aucune décision concrète n’est prise alors même que l’industrie automobile est une épine dorsale de l’industrie européenne avec 13 millions d’emplois, et 60 millions d’euros par an d’investissement en recherche et développement. Et cette industrie doit faire face à des pouvoirs agressifs (les États-Unis) ou non démocratiques (la Chine).

L’hydrogène, vous y croyez toujours ?
J.-L.P
. : Non, tout cela ne tient pas la route. On s’est laissé embarquer par des effets de mode en oubliant le reste. Pour que l’hydrogène marche, il faudrait une énergie quasiment gratuite pour le fabriquer.

Quelles mesures soutenez-vous pour sortir de l’ornière actuelle ?
J.-L.P.
: Nous soutenons quelques mesures très claires comme le local countain à 80 %, c’est-à-dire que le seuil minimal du fabriqué en France devrait être de 80 % dans un véhicule. Appliquons simplement ce que les Chinois ont fait ! Donnons-nous les moyens de garder une production sur nos territoires ! Je rappelle au passage que le premier constructeur de véhicules en France est désormais Toyota. Évidemment, c’est mieux que plus d’usines du tout…

Quid de la compétitivité de l’industrie automobile française ?
J.-L.P.
: Il faut impérativement la restaurer. La France doit revenir dans la moyenne européenne et on n’y est pas du tout en termes de charges, d’impôts et de temps de travail. Il faut que l’on reste dans une ambition d’être un pays d’industrie et pas qu’un pays de tourisme.

Quelles mesures concrètes pour redresser cette compétitivité ?
J.-L.P.
: Il faut d’abord un vaste plan d’investissement à l’échelle européenne, inspiré de ce qu’ont fait les États-Unis. Il faut également un mécanisme permettant de garantir la disponibilité et des prix d’énergies décarbonées compétitifs. Et en parallèle, des mesures de simplification. 108 nouvelles réglementations vont s’appliquer au secteur automobile d’ici 2030. On ne fait que réglementer et ça ralentit évidemment notre compétitivité.

Et au plan national ?
J.-L.P.
: Ce n’est pas nouveau mais le coût du travail nous plombe. Pour un salaire de 80 nets versé au salarié, soit 100 bruts, cela coûte 140 à l’employeur. Contre 120 en Allemagne par exemple. Et tenter de garder un prix d’électricité plus stable grâce au nucléaire plutôt que de subventionner des énergies (éolienne par exemple) qui enrichissent la Chine. Bien sûr, nous ne sommes pas contre les plans de décarbonation, mais il faut une vraie incitation fiscale, une vraie politique de parc, et ne pas subventionner des véhicules destinés à des enfants de familles qui auraient les moyens de s’en payer un. En France, le parc automobile global n’est pas pensé. Nous luttons donc actuellement pour que les pouvoirs publics ne soient pas les fossoyeurs de l’industrie automobile. Sinon, dans les trois ou quatre ans à venir, ce sera Waterloo pour l’automobile française ! Il n’est pas encore trop tard. Nos jeunes ingénieurs ont encore la possibilité d’inventer la mobilité de demain. Mais pour cela, il faut impérativement sauvegarder les savoir-faire sur nos territoires.

Comment sont reçues vos alertes et préconisations par les pouvoirs publics ?
J.-L.P.
: Elles sont toujours très bien reçues, mais c’est tout ! De suites, il n’y en a pas et j’ai le sentiment que nos politiques refusent de voir que le pays s’enfonce dans la crise et qu’il faudra bien travailler un peu plus pour s’en sortir. Le temps des cigales en France, c’est fini. À un moment donné, il faudra bien passer en mode fourmi !