C’est un interminable procès qui a démarré le 8 septembre à la cour d’assises du Doubs à Besançon. Le cas de chaque patient est scrupuleusement décortiqué par le tribunal qui cherche la vérité sur ce qui est en passe de devenir la plus grande affaire d’empoisonnement de tous les temps en France.

Dans la grande salle historique du palais de justice de Besançon, la tension est souvent palpable au fil des audiences. À la barre se succèdent des membres du personnel médical, médecins anesthésistes, infirmières, experts, sous l’œil attentif des jurés et des magistrats, et le regard souvent imperturbable du mis en cause, Frédéric Péchier, 53 ans.

Le mis en cause Frédéric Péchier, entouré de sa soeur juriste présente au procès, et de son principal avocat Randall Schwerdorffer.

L’homme à la barbe grisonnante, systématiquement flanqué dans la salle d’audience de sa sœur, juriste, et de son avocat Randall Schwerdorffer, est mis en accusation pour 30 faits d’empoisonnements aggravés par la circonstance de la préméditation ou aggravés par l’état de vulnérabilité des victimes, dont 12 ont entraîné la mort. Ces faits sont survenus entre le 10 octobre 2008 et le 20 janvier 2017 dans deux établissements bisontins, la Polyclinique de Franche-Comté et la Clinique Saint-Vincent. Pour les faits dont il est accusé, Frédéric Péchier encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Depuis le 8 septembre, dans l’enceinte parfois bondée de la cour d’assises, on y parle essentiellement de techniques d’anesthésie, de réanimation, on détaille la configuration des blocs opératoires, on dissèque les agendas de chacun, on relate les écoutes téléphoniques, et les témoins et experts se succèdent à la barre, parfois fébriles et submergés par l’enjeu, parfois imperturbables. Depuis quinze jours, on entend régulièrement les termes de potassium, mépivacaïne, gluconate de calcium…

Une plongée dans les arcanes méconnus des salles d’opération dont les magistrats et les jurés ont trois mois pour démêler l’écheveau. Ce procès-fleuve se tiendra jusqu’au 19 décembre, date du verdict. Hors normes à tous points de vue, ce procès implique 156 personnes qui se sont constituées parties civiles, et 54 avocats constitués assurent leur assistance ou leur représentation. En trois mois, 155 témoins et une quinzaine d’experts se succèdent à la barre.

Témoignage - “J’attends la fin du procès pour pouvoir faire mon deuil”

Charlotte Grosjean a perdu sa maman Laurence Nicod, suite à une opération en avril 2016 à la clinique Saint-Vincent. Pour C’est à dire, elle a accepté de se confier avec pudeur sur les sentiments qui l’habitent à quelques semaines de l’examen du cas de sa maman par la cour d’assises. Laurence Nicod était pédicure-podologue à Morteau

Charlotte Grosjean est la fille de Laurence Nicod, ancienne pédicure-podologue installée à la maison médicale de Morteau, décédée en avril 2016 suite à une opération

C’est à dire : Les 20, 21 et 24 novembre sera étudié le cas de votre maman Laurence Nicod décédée le 15 avril 2016 à l’âge de 50 ans suite à une opération à l’épaule. Comment appréhendez-vous ce moment ?
Charlotte Grosjean : Avec impatience, je suis contente que ce moment approche, et forcément avec un peu d’appréhension. En novembre, je vais pouvoir fermer une page de ce livre et continuer à faire ma vie, même si ma maman me manquera toute ma vie. Je n’ai toujours pas fait mon deuil, j’attends la fin de ce procès pour pouvoir le faire.

Càd : Qu’attendez-vous de ce long procès ?
C.G. : De savoir enfin la vérité, ce qui s’est vraiment passé ce jour d’avril 2016 où ma maman qui était en pleine forme ne s’est pas réveillée de cette opération des rotateurs de la coiffe de l’épaule.

Càd : En 2016, vous aviez 17 ans. Quand avez-vous su que le décès de votre maman était peut-être imputable à un acte malveillant ?
C.G. : Au moment de son décès que j’ai appris le lendemain matin par un message que mon papa avait laissé à ma grand-mère, la clinique nous avait dit qu’il n’y avait aucune explication particulière à cet accident et qu’il n’y avait eu aucune anomalie à la clinique. Ils avaient tenté de la réanimer par une circulation extra-corporelle, mais c’était trop tard… Personnellement, je me suis dit que c’était vraiment bizarre, parce qu’à 50 ans, ma maman était en pleine forme, elle ne pouvait pas mourir comme ça… Et c’est seulement un an plus tard, en 2017, que j’ai appris par hasard en voyant la publication de quelqu’un de Morteau sur Facebook qu’une enquête était déclenchée, c’était le début de l’affaire. Je n’ai appris qu’après que le corps de ma maman avait été mis sous scellés. On m’a dit : “Le corps de ta mère est une scène de crime…”

Càd : Toute la famille assistera aux audiences en novembre ?
C.G. : Une bonne partie de la famille. Mon oncle, le frère de ma maman, mes grands-parents qui sont dans le Haut-Doubs, son compagnon, on s’est tous constitué parties civiles. Que la personne qui va être incriminée et accusée paye ce qu’elle doit, même si ça ne me rendra jamais ma mère.

Càd : Vous ne citez pas le nom de Frédéric Péchier volontairement ?
C.G. : Oui, cette affaire est tellement compliquée, je respecte quand même la présomption d’innocence jusqu’à ce que le jugement soit prononcé. Avant même le jugement, Frédéric Péchier a déjà tout perdu. Comme nous aussi : on a perdu le soutien de notre maman, son sourire, c’était une personne qui aimait beaucoup la vie. Mais je me dis qu’elle est juste dans la pièce d’à côté, elle vient régulièrement me rendre visite dans mes rêves… Je me dis aussi que la vie donne les plus durs combats aux plus forts soldats. Après ce procès, je veux qu’on vive à nouveau normalement.