Particulièrement malmenés depuis quelques années, les massifs forestiers locaux donnent de sérieux signes de faiblesse, de dépérissement, quand ce n’est pas de mort. Face à ces phénomènes climatiques et sanitaires qui touchent nos forêts, quelles réponses peuvent être apportées ?

Les forêts du Doubs pansent leurs plaies

Depuis 2018, un cumul d’événements climatiques et sanitaires décime les forêts du Doubs, particulièrement en altitude. Le phénomène est aussi palpable en plaine. Une note d’espoir semble cependant émerger.

certains secteurs du massif forestier dans le Haut-Doubs, plus de 50 % des arbres sont scolytés et morts (photo D.R.A.A.F.- B.F.C.).

Les sécheresses et canicules à répétition depuis 2018, associées à l’arrivée de bio-agresseurs exotiques (pyrale du buis, chalarose du frêne, etc.) : le cocktail a été fatal pour de nombreux massifs forestiers locaux. "Tout n’est pas lié au réchauffement climatique" tempère Mathieu Mirabel, responsable du département de la santé des forêts à la D.R.A.A.F. Bourgogne-Franche-Comté. "Les bio-agresseurs sont liés à la mondialisation et aux échanges. Le dernier exemple en date est l’arrivée à l’automne dernier dans notre région de la punaise réticulée du chêne, originaire des États-Unis, qu’on a détectée à proximité des aires d’autoroutes. Typiquement, c’est un insecte qui est arrivé avec des voyageurs." Si les forêts franc-comtoises sont si fragiles depuis quelques années, c’est sans doute aussi "parce qu’elles ne sont pas habituées jusqu’ici, contrairement aux forêts du Sud, à subir de tels stress hydriques. Avec moins d’eau depuis plusieurs années, les arbres font plus de racines, moins de croissance et moins de feuilles" détaille l’ingénieur de la D.R.A.A.F. Ce qui ne présume pas forcément de la suite car "les forêts ont aussi une force de résilience et d’adaptation."

Le plus connu de ces insectes - et le plus ravageur depuis plusieurs années - reste le scolyte pour les forêts de résineux, qui cause non seulement des dépérissements mais plus grave, des mortalités de massifs entiers. Il suffit d’aller se promener du côté de Chapelle-des-Bois ou de Mouthe pour se rendre compte, grandeur nature, des dégâts subis par les forêts de résineux avec dans certaines parcelles plus de 50 % des épicéas scolytés. C’est moins le cas dans le Haut-Doubs Horloger entre Morteau et Maîche. Depuis 2018, 20 % de la surface forestière du massif jurassien franc-comtois ont ainsi été scolytées ou récoltées. Les attaques de ces scolytes dits typographes sont d’autant plus importantes en cas de fortes chaleurs. "Ce sont des parasites de faiblesse poursuit Mathieu Mirabel. Ils prolifèrent dès lors qu’un arbre est fragilisé."

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Depuis 2022-2023, l’épidémie de scolytes s’est propagée au-delà de 1 000 m d’altitude. Les dégâts en forêts n’ont jamais été aussi importants qu’en 2024, provoqués par les attaques en 2023. Les spécialistes entrevoient un petit espoir pour cette année grâce à un automne 2024 particulièrement arrosé qui permettra sans doute aux arbres de nos massifs de retrouver de la vigueur. "S’il n’y a pas de sécheresse ou de canicule cette année, on peut espérer un déclin des phases épidémiques." Autres lueurs d’espoir : la présence du clairon des fourmis qui est lui-même un prédateur des scolytes. Une étude à son sujet a été commanditée par la D.R.A.A.F. L’épidémie en baisse concernant le sapin pectiné, lui aussi touché, mais par une espèce de scolyte moins agressive, est aussi une note d’espoir. "On revient à une endémie pour le sapin, c’est la bonne nouvelle de l’année" note M. Mirabel.

Face à la récurrence des phénomènes climatiques et sanitaires, comment réagissent les spécialistes de la forêt ? Par toute une série d’expérimentations qu’on appelle des "îlots d’avenir". Ces îlots d’expérimentation réalisés par l’O.N.F. sont implantés en forêt sur de toutes petites parcelles de 0,5 à 2 hectares, avec d’autres essences que celles déjà plantées. "Une autre stratégie consiste à ne pas changer d’essence par exemple dans une forêt de hêtres, mais à faire venir du hêtre du sud de la France qui aura peut-être un patrimoine génétique plus adapté aux fortes chaleurs." On appelle cela de la "migration assistée". Dans les forêts d’altitude, on aura désormais tendance à mélanger un peu plus les essences.

La gestion forestière étant celle du temps long, les spécialistes de la question restent très modestes par rapport à l’adaptation des massifs à ces récentes évolutions climatiques et sanitaires. Les efforts qu’ils déploient aujourd’hui pour diversifier les essences seront visibles dans plusieurs décennies. La sylviculture n’est pas une science de l’immédiat.

O.N.F. - “Il faut réinventer des méthodes de gestion forestière”

Tous les massifs forestiers du département du Doubs sont impactés par le réchauffement climatique, ce qui remet en cause les méthodes de gestion, les techniques d’exploitation et les orientations sur le renouvellement forestier. Explications avec Jean-Luc Felder, responsable du service forêt à l’agence O.N.F. du Doubs.

C’est à dire : Comment mesurer l’impact du réchauffement climatique sur la forêt du Doubs ?
Jean-Luc Felder
: La forêt subit de plein fouet l’impact du réchauffement climatique. Depuis 2018, on estime que 20 % de la surface résineuse a disparu suite aux problèmes sanitaires. Les conséquences sont très visibles dans le paysage. Avant cette crise qui n’a plus rien d’une crise, on essayait d’avoir une gestion planifiée s’appuyant sur des coupes sylvicoles. Cette approche n’est plus possible, c’est le sanitaire qui guide aujourd’hui l’organisation des coupes.

“Il faut réinventer des méthodes en définissant des plans de gestion rénovés, plus flexibles reposant sur la vulnérabilité”, explique Jean-Luc Felder, responsable du service forêt à l’O.N.F. du Doubs.

Càd : Que peut-on dire de la situation sanitaire ?
J.-L.F.
: Il est utile de rappeler qu’une année forestière s’étale de septembre à juin. On a engagé les premières réflexions pour le programme de coupe 2026. Les discussions vont débuter avec les communes en rappelant le rôle de conseiller technique de l’O.N.F. qui est là pour faire des propositions. La situation sanitaire tend à s’améliorer par rapport à 2024. On a eu une année 2024 bien arrosée donc avec peu de stress pour les végétaux et les arbres. Les précipitations du printemps 2025 ont permis un bon démarrage de la végétation. Les récoltes sanitaires en épicéa sont encore au même niveau qu’en 2024. Les attaques qui touchaient initialement les peuplements d’épicéa sur les premiers plateaux affectent maintenant des massifs plus élevés, au-delà de 1 000 m d’altitude. C’est surtout au niveau du sapin que la situation s’améliore avec beaucoup moins de dépérissement qu’en 2024. En résineux, on était à 80 % de récoltes subies et grâce à la résistance du sapin, on est maintenant autour de 65 %. Pour déterminer les orientations de la prochaine année forestière, on prend également en compte la conjoncture économique.

Càd : Comment se porte le marché du bois ?
J.-L.F.
: C’est assez encourageant. Les scieries ont de l’activité. Il y a une forte demande de bois. Des grosses scieries à l’extérieur de la Franche-Comté recherchent aussi de l’épicéa jurassien. Le marché du bois-énergie s’envole. Ce qui suscite des inquiétudes sur la ressource. Grâce à l’évolution des paramètres sanitaires et économiques, on devrait pouvoir desserrer l’étau de 30 % de récolte de bois vert résineux négocié avec les communes forestières en 2024. Il est important de dire qu’on se garde toujours une marge sur ce taux qui peut varier en fonction de la demande sur certains produits. Sur l’année 2024, on était finalement plus proche de 50 %.

Càd : Depuis quand fonctionne ce mécanisme de régulation ?
J.-L.F.
: Les communes forestières et l’O.N.F. ont décidé en 2020 la mise en place de ce dispositif consistant à réduire l’exploitation des bois verts pour favoriser la vente des bois secs. C’est un choix politique, stratégique et de solidarité de filière. On s’est basé sur les références des coupes avant crise. Chaque année, on évalue l’état sanitaire de la forêt et la conjoncture économique pour fixer ce pourcentage qui était de 30 % l’an dernier. Ce qui signifie que les communes pouvaient couper 30 % de la référence de coupe de bois vert résineux en place avant 2018.

Càd : Toutes les communes ne jouent pas forcément cette carte de la solidarité ?
J.-L.F.
: En effet, car cela relève d’une démarche volontaire où rien n’est imposé. Au départ, les communes du haut étaient peu impactées et aujourd’hui la situation s’est inversée. La crise s’est banalisée. Certaines communes préfèrent couper du bois vert avant qu’il ne soit victime des attaques sanitaires. C’est très hypothétique et les communes qui auront gardé du bois vert le valoriseront beaucoup mieux en raison de sa rareté.

Càd : Le réchauffement climatique bouleverse aussi la gestion forestière ?
J.-L.F.
: 60 à 70 % des plans de gestion forestière établis sur 20 ans sont devenus caducs. Il faut réinventer des méthodes en définissant des plans de gestion rénovés plus flexibles reposant sur la vulnérabilité. Cette notion prend en compte le sol, l’âge des peuplements et les essences. Le croisement de ces trois paramètres permet d’obtenir un indice de vulnérabilité qui va déterminer la gestion et les aménagements.

Càd : Que préconise l’O.N.F. en matière de renouvellement forestier ?
J.-L.F.
: L’office privilégie la régénération naturelle en favorisant la diversité et si cela ne fonctionne pas, il est possible de faire des plantations d’essences plus résistantes à la sécheresse. Il peut s'agir d’essences locales comme le chêne qu’on trouve aussi naturellement sur le Haut-Doubs.

Càd : Les forêts feuillues en zone basse subissent-elles l’impact du réchauffement ?
J.-L.F.
: Oui bien sûr. On a constaté de gros dépérissements de hêtre entre 2019 et 2021 sur le faisceau de Besançon et Baume-les-Dames. Au point qu’aujourd’hui, l’enjeu pour certaines communes c’est de maintenir un état boisé, une ambiance forestière. Cette année, le hêtre va mieux. Les chênes qu’on pensait épargnés souffrent également par endroits. Pratiquement toutes les essences feuillues comme le frêne, le charme ont été touchées ou le sont encore.

Càd : Pourquoi les communes du bas semblent moins impactées que les communes du haut à dominante résineuse ?
J.-L.F.
: En forêt feuillue, on est sur un rendement de 100 euros par hectare contre 400 euros par hectare en forêt résineuse avant la crise. La dépendance est forcément moins importante dans ces communes qui ont appris à fonctionner sans la forêt alors que les recettes forestières dans les communes résineuses suffisaient parfois à financer les investissements.

Càd : Comment va s’organiser l’aménagement forestier ?
J.-L.F.
: On proposera aux communes de reprendre la sylviculture sur les zones les moins vulnérables. Sur les parcelles les plus sensibles au réchauffement climatique, on décapitalisera les peuplements concernés de façon progressive pour favoriser un renouvellement en essences plus adaptées.

Càd : C’est une tout autre approche !
J.-L.F.
: On est face à un changement de paradigme complet. On s’engage vers une nouvelle sylviculture en mosaïque, très diversifiée. Le dépérissement soulève aussi d’autres problématiques. La fragilité des arbres remet en question l’accès au milieu forestier, la sécurisation des usagers, des bords de route, des lignes électriques… Les conditions d’exploitation sont également en pleine évolution avec le souci, par exemple, de limiter le tassement du sol pour protéger leur réserve en eau. Sur une parcelle, on concentre la sortie des bois sur un ou deux chemins de vidange. On évite de sortir des bois quand les sols sont gorgés d’eau.