Elle a pris la suite d’Anne Tanguy, partie vers l’ouest après 13 ans à la tête des 2 Scènes. Vanessa Lassaigne assure la direction des deux théâtres depuis le 1er avril. Entretien avec cette Lyonnaise devenue Bisontine de coeur, plaçant le collectif au centre de son projet.
La Presse Bisontine : vous avez occupé pendant près de 15 ans des postes dans la culture à Lyon. Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à postuler pour la direction des 2 Scènes à Besançon ?
Vanessa Lassaigne : Je connaissais Besançon qui me donnait envie avec un environnement très vert, une histoire, une ville de caractère, un très beau centre-ville entre la Citadelle et les collines. Et puis les 2 Scènes rayonnent beaucoup au niveau national, c’est une grosse scène nationale. J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec les 2 Scènes. J’aime la tonalité musicale (N.D.L.R Vanessa Lassaigne a travaillé 12 ans dans la musique auparavant). J’avais également une connaissance de la qualité d’accueil et d’accompagnement des artistes. C’est un endroit où je me projette. Pour une ville de 100 000 habitants, et un bassin de vie de 200 000 habitants, c’est assez exceptionnel le nombre de lieux labellisés : Un centre dramatique national, une Scène nationale avec deux lieux, un F.R.A.C., un conservatoire, la Rodia… On sent qu’ici il y a des politiques publiques en direction de la culture et qui ont vocation à un développement culturel. La ville montre aussi un dynamisme culturel, artistique et associatif foisonnant avec le festival Bien Urbain, Bol, Bol, Bol, la Souterraine, etc. À plein d’endroits de Besançon, on sent cette culture. Le théâtre Ledoux, par exemple, a été le premier théâtre à inventer la fosse d’orchestre. Il a inversé la position du spectateur. Le parterre, auparavant, était en terre battue et réservé aux classes populaires. Avec la fosse, on a amélioré l'acoustique.
L.P.B. : Quels sont les grands axes de votre projet pour les 2 Scènes ?
V.L. : Mon projet s’appelle "Imaginons ensemble" et prône une dynamique de partage et de co-construction. Les 2 Scènes ont déjà une histoire avec énormément de partenariats, elles ont vocation à essaimer en constellation, je vais continuer à poursuivre cet élan. Ici, j’ai découvert que les structures culturelles ne travaillent pas les unes contre les autres mais ont une attention à travailler ensemble. La priorité est de travailler avec Planoise. Installer un théâtre dans un Quartier prioritaire de la ville est une très belle utopie. Il y a un vrai sens dans un enjeu de démocratisation de la culture. Comment aller vers les habitants, les autres partenaires associatifs, sportifs, de l’éducation, du social… Ce qui peut faciliter la fréquentation du théâtre est la création d’un lien de confiance. En ouvrant aussi le lieu beaucoup plus. Certains ont encore du mal à passer les portes du théâtre de l’Espace. On souhaite aussi faire des propositions dans l’espace public. Un spectacle n’est pas forcément à l’intérieur en frontal (N.D.L.R. le spectateur assis face à la scène).
L.P.B. : En complément de l’association historique avec l’orchestre Victor Hugo, vous avez choisi cinq artistes associés. Pourquoi ?
V.L. : D’abord, pour les artistes associés, cela apporte une aide à la création et à la diffusion. Et les artistes associés renforcent le lien avec les habitants. Je souhaite également proposer des formes décentralisées, dans le scolaire, dans les nouveaux lieux de vie, sur Planoise et dans d’autres quartiers, vers des territoires plus ruraux. Nous avons vocation à aller au-delà des murs. La pianiste Jeanne Bleuse, qui est l’une des cinq artistes associés, parcourt les chemins de campagne avec sa roulotte de concert, à la façon des tréteaux, pour faire découvrir la musique classique. Je veux désacraliser la salle de concert et de spectacle. Il faut continuer à entretenir la curiosité et l'enthousiasme du public mais aussi s’adresser à tous en allant à leur rencontre. Le créateur sonore Ben Farey a beaucoup travaillé avec des personnes en situation de handicap. Un autre objectif est de renforcer la danse avec le collectif Porte-Avions, qui pratique des arts chorégraphiques et vient du breakdance. Les deux autres artistes touchent des domaines différents. La circassienne Fanny Soriano travaille autour du rapport homme-femme sur des agrès inspirés de la nature. Maud Lefebvre, comédienne et metteure en scène a monté une création jeune public Nanashi sur l’adolescence. Le rapport au texte est très cinématographique. Les deux scènes ont un très fort lien avec l’image et le cinéma.

L.P.B. : La jeunesse est justement au coeur de votre projet avec des formes dédiées…
V.L. : Les 2 scènes ont une action très forte avec la jeunesse depuis toujours notamment au théâtre de l’Espace. Cela a été beaucoup axé sur les classes jusqu’à 12 ans, on n’a pas forcément développé les collèges et les lycées. Or, l’adolescence est une tranche d’âge charnière, essentielle. À Planoise, à l’adolescence, on peut vite être happé par de mauvaises personnes. L’ado est dans le rejet du monde adulte et du corps enseignant. C’est bien pour cela que l’on s’appuie sur le spectacle de Maud Lefebvre qui aborde des questions liées à l’adolescence : communication, amour, amitié. On ne veut pas les amener uniquement sur des spectacles tout public mais aussi vers des propositions moins frontales, dans un rapport beaucoup plus immersif, avec les nouvelles technologies, la réalité virtuelle etc. Nous voulons aussi mettre en place un temps fort, "Jeunesse en scène", pour mettre en valeur les pratiques amateures. Souvent, les restitutions des ateliers restent dans les établissements. On crée un temps fort où l’on accueille les jeunes, la famille et les amis au théâtre. C’est important que le lieu ne soit pas réservé qu’aux professionnels. Là encore, cela permet de créer du lien, comment on ouvre le lieu le plus possible à ceux qui pour l’instant n’ont pas franchi les portes. Enfin, je souhaite monter un groupe de jeunes ambassadeurs du théâtre, "La Bande", ouvert aux jeunes de 14 à 18 ans. Ils pourront suivre un parcours de découverte des oeuvres avec un lien privilégié avec les artistes associés, découvrir les métiers techniques, administratifs, tout ce qui est dans les coulisses. Et les amener à être force de proposition pour participer l’année prochaine à la programmation des spectacles jeunesse. On souhaite s’appuyer sur les compétences des partenaires spécialisés dans l’accompagnement de projets de jeunes. On se rapproche de l’École de la deuxième chance, de la maison de quartier Nelson Mandela, des écoles, etc. sur Planoise mais aussi dans l’idée d’une mixité avec les jeunes des autres quartiers.
L.P.B. : La programmation 2025-2026 était déjà réalisée quand vous êtes arrivée à la tête de la Scène nationale. Des idées déjà pour la saison 2026-2027 ?
V.L. : La programmation 2026-2027 est en cours d’élaboration. Mais on a imaginé un temps de découverte avec les artistes associés, pour accueillir un public sur un projet. Ce sera du 27 mai au 2 juin 2026. Dans le projet que je porte, il y a la question du plaisir que l’on prend, le côté festif. Travailler dans l’espace public permet d’apporter cette dose de légèreté. Autour de la création sonore de Ben Farey, on veut investir la place de l’Europe avec des ateliers pour faire découvrir plusieurs aspects de la création sonore. Dans le studio du théâtre de l’Espace, on proposera une forme plus intime d’écoute d’une trentaine de minutes. Il y aura un temps festif et un temps d’écoute pour soi. Le lendemain sera consacré au collectif Porte-Avions. Un duo de femme proposera Colosse. Et un temps festif est prévu avec un D.J. où l’on invitera le public à danser avec les danseurs. Les trois autres artistes seront à découvrir sur des formats plus habituels.
Qui est Vanessa Lassaigne ?
Née à Roanne, Vanessa Lassaigne a trouvé à Besançon un écho à son histoire personnelle notamment l’histoire industrielle de lutte ouvrière qui a marqué la ville. “J’ai senti de bonnes ondes.” D’abord chargée de communication pour les chaînes Arte et France 5 au début des années 2000, elle a assuré ensuite le réseau de coordination de musique contemporaine de Varèse. De 2006 à 2011, elle travaille au Grame, Centre national de création musicale à Lyon, en tant que coordinatrice artistique et de production, puis administratrice (2011-2017). Elle assure le poste d’administratrice générale du Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national à Lyon de 2020 à 2025 après avoir occupé les mêmes fonctions au Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape de 2017 à 2020. Depuis 20 ans, Vanessa Lassaigne exerce avec passion son métier dans le monde de la culture. Elle compte bien poursuivre à Besançon.