Le maire de Pontarlier et président des maires du Doubs Patrick Genre a assisté comme chaque année au Congrès des maires de France à Paris fin novembre. Il en revient avec des questions toujours en suspens. Interview.

C’est à dire : Vous étiez fin novembre au Congrès des maires de France à Paris en tant que président de l’Association des maires du Doubs. Dans quel état d’esprit revenez-vous ?
Patrick Genre : Globalement, les rencontres qu’on fait à ce congrès sont toujours très appréciées car elles permettent de créer des liens avec les élus d’autres territoires et de participer à beaucoup d’ateliers et de forums très instructifs. Pour le reste, le sentiment est toujours mitigé car on a toujours ce sentiment plus fort que les collectivités locales, communes et intercommunalités, ont de moins en moins d’autonomie et dépendent toujours plus de l’État. Sur la forme, nous avons aussi regretté l’absence du président de la République sur ce Congrès de l’A.M.F. Et au final, on est repartis de ce congrès avec autant de questions qu’on avait en y arrivant…

Càd : Comment cette perte d’autonomie se traduit-elle pour les communes et les intercommunalités du Doubs ?
P.G. : Aujourd’hui, entre 60 et 70 % de nos budgets communaux ou intercommunaux dépendent de décisions de l’État qu’on ne maîtrise pas. On a perdu au fil du temps notre autonomie fiscale et notre autonomie financière pour construire nos budgets et cette situation continue à nous inquiéter.

Patrick Genre est président des maires du Doubs jusqu’à la fin de son actuel et dernier mandat en 2026 (photo L. Saillard).

Càd : Vous évoquez le président de la République, vous l’avez tout de même vu à l’Élysée puisque vous faisiez partie de la délégation invitée à y venir ?
P.G. : Oui, nous étions une quinzaine d’élus du Doubs présents pour un moment de discussion à l’Élysée en marge du congrès, mais ce n’est pas la même chose que le président se déplace au congrès devant plus de 10 000 élus. Là, à l’Élysée, il a fait une déclaration en déroulant une feuille de route très lourde pour les mois à venir, en évoquant pêle-mêle la refonte de la Dotation globale de fonctionnement (D.G.F.), la mission qu’il a confiée à Éric Woerth sur une nouvelle organisation politique et administrative, la décentralisation et un nouveau statut de l’élu ! Ce moment à l’Élysée était très convivial mais il ne remplacera jamais une présence au congrès.

Càd : Les maires sont quasiment unanimes pour dénoncer ce mouvement de recentralisation auquel on assiste alors que vous réclamez au contraire plus de décentralisation. Comment ce phénomène se traduit-il pour les collectivités ?
P.G. : Justement par cette perte d’autonomie financière car nous n’avons plus que le levier de la taxe foncière pour agir localement sur nos capacités financières. Et le deuxième étage de la fusée, ce sont les dotations de l’État (D.E.T.R., D.S.I.L., Fonds vert, etc.) qui sont certes une vraie bouffée d’oxygène pour nos finances publiques, mais qui ne dureront qu’un temps et surtout, ces dotations sont toutes fléchées par l’État. On est ainsi contraint d’appliquer uniquement la politique que l’État souhaite appliquer. Si on n’entre pas dans le cadre, on n’aura rien ! C’est en cela aussi que nous avons perdu notre autonomie de décision, ce qui explique que les élus dénoncent une mise sous tutelle de l’État des collectivités locales. Il faut redonner une impulsion à la décentralisation, sans doute aussi donner plus de pouvoir aux préfets de départements.

Càd : Qu’en est-il des capacités futures du bloc communal (communes et intercos) à investir ? Certaines professions comme le B.T.P. attendent beaucoup de vous.
P.G. : Ce n’est pas le tout d’engager des investissements, encore faut-il être capable de les financer ! Ce qui nous bloque justement, c’est la forte évolution de nos budgets de fonctionnement, elle est liée à plusieurs facteurs : l’inflation évidemment, les coûts de l’énergie qui ont explosé, le point d’indice des fonctionnaires territoriaux qui a augmenté et que nous devons financer, et c’est normal. Et tout cela, nous devons le financer sans un centime de compensation de la part de l’État. Nos budgets de fonctionnement augmentent tandis que nos recettes ne bougent pas. Et je l’ai dit, on ne peut plus “jouer” qu’avec le foncier bâti, c’est-à-dire que ne paient plus l’impôt local que les propriétaires. Le lien avec l’ensemble de la population a disparu avec la suppression de la taxe d’habitation notamment. Et forcément, ces augmentations de dépenses couplées à la baisse de notre autonomie fiscale réduisent de fait nos capacités d’autofinancement, notre épargne. C’est comme dans un ménage : on n’investit que quand on sait qu’on a la capacité de rembourser. Sinon, on peut bien sûr emprunter mais avec les taux d’intérêt qui explosent, on augmente notre charge financière pour les années à venir.

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Càd : Ce qui signifie concrètement que les investissements des collectivités locales vont baisser en 2024 ?
P.G. : 2023 avait été une année importante car on avait mis en œuvre les décisions prises en 2022. Mais en effet pour 2024, je pense que nous aurons moins d’opérations. L’autre problème est qu’avant, en schématisant, avec une enveloppe de 100, on pouvait faire trois opérations avec les entreprises de B.T.P. et désormais avec 100, on n’en fera plus que deux à cause de l’inflation. Ce qui signifie de facto un tiers d’activité en moins pour les entreprises. Cette situation peut en effet avoir un impact sur le carnet de commandes des entreprises.

Càd : Que réclamez-vous alors à l’État dans ce contexte ?
P.G. : Il sera au moins nécessaire que le montant de la D.G.F. soit aligné sur l’inflation. Le gouvernement nous a promis 120 millions d’euros de plus mais d’après nos calculs, il manquerait encore 200 millions pour que la compensation soit complète. Et il ne faut pas croire que la D.G.F. est un cadeau de l’État aux collectivités, c’est juste un dû pour tous les transferts de compétences et d’activités que l’État a opéré depuis des décennies.

Càd : Le métier de maire n’est pas toujours facile. Comment faudrait-il renforcer son attractivité ?
P.G. : Il est clair que jamais autant d’élus, maires, adjoints ou conseillers municipaux n’ont manifesté leur souhait de démissionner (N.D.L.R. : à l’échelle nationale, plus de 12 000 élus locaux l’ont fait depuis les dernières municipales en 2020, dont près de 1 200 maires). Une majorité de ces démissions sont directement liées au trop-plein de stress, d’angoisses, de contraintes ou de déceptions par rapport au mandat. C’est un vrai mouvement de fond, beaucoup d’élus ici dans le Doubs m’ont déjà dit qu’ils ne feraient qu’un mandat. C’est la raison pour laquelle cette question du statut de l’élu doit être au cœur des préoccupations de l’État.

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Càd : Les élus locaux sont-ils assez payés selon vous ?
P.G. : Il est évident que si on compare avec nos voisins suisses ou allemands, il y a une différence énorme, mais le statut est différent aussi (N.D.L.R. : l’équivalent d’un maire en Allemagne peut percevoir entre 5 500 et 15 500 euros bruts par mois, en Suisse, ça peut monter jusqu’à 20 000 euros dans des villes moyennes). En France, il ne faut pas entrer en politique pour faire fortune, c’est sûr ! (rires). Si on rapporte au nombre d’heures travaillées, on peut considérer qu’on fait du bénévolat la moitié du mois ! J’ai en tête le cas d’un élu local qui après sept mandats partira avec 200 ou 300 euros de retraite par mois. Il y a sans doute quelque chose à faire sur cette question, même si la rémunération est loin d’être le seul point à traiter.

Càd : Qu’est-ce que devrait être alors un vrai statut de l’élu ?
P.G. : Quand un élu s’engage, il devrait être normal qu’il puisse quitter sa profession avec une certaine garantie de pouvoir retrouver un poste après son mandat. L’aspect formation est également essentiel car bien souvent les gens pensent qu’au lendemain d’une élection, un maire doit tout savoir sur tout. C’est évidemment impossible et il devrait y avoir plus de suivis et de cycles de formation pour les élus. Beaucoup d’élus qui se lancent dans un mandat sont des retraités qui ont arrêté de travailler, sinon, ce sont des professions libérales ou des fonctionnaires qui peuvent prendre des disponibilités. On voit très peu d’élus du privé, de commerçants, d’employés ou d’ouvriers. Il faut donc réfléchir à travers un vrai statut de l’élu pour élargir ces possibilités à plus de monde de prendre un mandat local.

Càd : En matière d’urbanisme, la fameuse question du Z.A.N., comme Zéro artificialisation nette crispe-t-elle toujours les élus ?
P.G. : Plus que jamais ! Les décrets d’application sont sortis qui précisent les critères définissant l’artificialisation des terres mais sur le fond, les conséquences de ce texte risquent d’être dramatiques pour nos territoires déjà en forte tension sur ce plan-là. Les effets de ce texte peuvent être catastrophiques et finalement aller à l’encontre des objectifs souhaités.

Càd : Pour quelle raison ?
P.G. : La raréfaction de l’offre foncière va forcément entraîner dans nos territoires du Haut-Doubs où la pression est déjà très forte une explosion des prix au mètre carré, et aussi du prix des locations. Ce texte risque juste d’accentuer la crise du logement qui pèse sur nos territoires. Il n’y a sans doute aucun élu qui conteste l’esprit de ce texte qui tend à économiser de l’espace mais notre problème en France, c’est qu’on passe souvent d’un extrême à l’autre, sans nuance. Là, ce texte Z.A.N. est excessif, c’est un vrai combat que je mène et qu’on mène avec mes collègues élus. Même si sans doute à l’échelle du Doubs, ce projet contente certains territoires, il fait aussi beaucoup de mécontents.

Càd : Ne pourrait-on pas admettre qu’un territoire comme le Grand Pontarlier s’est suffisamment urbanisé et qu’il faut désormais laisser se développer des territoires un peu plus éloignés ?
P.G. : Mais ces territoires plus éloignés, comme peut-être le secteur Frasne-Drugeon pour ne prendre que cet exemple, eux non plus n’ont plus de disponibilités foncières et les gens vont déjà habiter là-bas. Cet effet existe déjà. La gestion de cette loi Z.A.N. est un vrai casse-tête, je ne sais pas encore comment on va le résoudre.

Càd : Vous êtes président des maires du Doubs jusqu’en 2026. Et après ?
P.G. : Après, je regarderai ça de l’extérieur ! (sourire, car il ne se représentera pas N.D.L.R.). Et jusque-là, je continuerai à défendre ces mandats de proximité car il faut tout de même souligner que la grande majorité des élus locaux ont l’intérêt général chevillé au corps, c’est bien de la rappeler. Seulement, ils n’ont plus les mêmes moyens qu’avant pour répondre à de multiples obligations. Sinon, ça reste un mandat magnifique, sans doute le plus beau. On est à portée d’engueulade, mais c’est un mandat passionnant. On veut juste que l’État entende nos difficultés !