À travers un projet de recherche mené avec deux autres universités européennes, la professeure d’université bisontine Marie Barral-Baron travaille sur l’importance de l’héritage grec sur la morale et la politique. Passionnant.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. » Cette citation mille fois entendue prêtée à Albert Camus est peut-être le pendant moderne de ce que les Grecs nous ont enseigné il y a plus de 2 500 ans, au grand siècle de Périclès, là où la notion d’éloquence prend racine.
En ce XXIème siècle où l’éloquence semble parfois n’être qu’un lointain souvenir, où le débat semble dangereusement se rétrécir à quelques dizaines de caractères envoyés à travers la vitrine des réseaux sociaux, ces notions ont-elles encore droit de cité ? Marie Barral-Baron, professeure des universités spécialisée en histoire moderne à l’Université Marie et Louis Pasteur de Besançon en est persuadée. Elle a même fait de ces questions le thème d’un de ses travaux dans le cadre d’un projet européen baptisé G.R.E.C.I. (comme Grec heritage in European Culture and Identity) mené en collaboration avec l’université d’Oslo et l’université de Chypre. Intitulé de l’étude menée sur trois ans et qui prendra fin en décembre : « L’éloquence ou la morale dans la politique : l’exemple de l’héritage grec ». « C’est un projet européen qui s’intéresse à l’importance de l’héritage grec dans la construction de l’unité européenne » synthétise Marie Barral-Baron qui pilote ce dossier pour l’université franc-comtoise.

Cette historienne spécialiste du XVIème siècle, qui a consacré sa thèse au grand penseur néerlandais Érasme, le maître de l’humanisme et de l’irénisme, tente, à travers le travail qu’elle a engagé au sein de ce projet partenarial européen, de montrer « à nos contemporains qu’il y a un lien profond entre l’héritage grec et les enjeux contemporains en termes de communication, politique notamment » ajoute l’universitaire bisontine.
Les Grecs – Platon, Socrate, et des orateurs tels Isocrate (fondateur d’une célèbre école de rhétorique) ont montré dès le Vème siècle avant notre ère l’importance centrale de la parole et de la communication qu’ils ont associées directement avec l’art de penser. « Si la forme du discours est clé pour convaincre, il est aussi important de faire attention au message qui est véhiculé. À une époque où la politique se joue sur l’arène publique de la communication et des médias, l’héritage de la pensée grecque peut offrir un puissant outil de réflexion critique » poursuit Marie Barral-Baron. Un bon orateur – il en reste une poignée au sein de la classe politique nationale – doit donc savoir manier le logos (la parole) et le pathos (l’émotion) de son auditoire. « L’éloquence peut susciter l’adhésion, l’admiration, mais elle peut aussi inspirer de la défiance quand l’orateur est dans la grandiloquence, voire l’enfumage… »
De l’Antiquité grecque à nos jours, en passant par le catholicisme, la Renaissance, la Réforme, la généralisation de l’imprimerie, aujourd’hui des médias sociaux, l’art de l’éloquence n’est certainement pas désuet. Au contraire, « à une époque où on subit une sorte de désespoir du langage, notre idée à travers ce projet européen est bien de tenter de transmettre au plus grand nombre cet héritage grec de l’éloquence, une notion intimement liée à la morale. » L’éloquence devrait être, dans l’idéal grec, la marque de la bonne politique. Bon nombre de nos responsables politiques, nationaux comme locaux, seraient bien inspirés de se pencher sur ces passionnants travaux du projet G.R.E.C.I. Sans doute que la désaffection des citoyens pour la chose politique vient aussi du manque d’éloquence des politiques actuels ?
Pour faire connaître ses travaux, Marie Barral-Baron participera le 26 septembre à la Nuit des chercheurs à Besançon. Une manifestation ouverte à tous les curieux de sens.