C’est au journal C’est à dire que Marie-Guite Dufay a accordé sa toute dernière interview en tant que présidente de la Région Bourgogne- Franche-Comté. Après 17 ans à la tête de l’institution, elle a décidé de passer la main. Elle revient sur ces années intenses, son engagement, ses bons souvenirs et les moins bons. Confidences
C’est à dire : Dans quel état d’esprit êtes-vous Marie-Guite Dufay au moment de tourner la page de plus de 40 ans d’engagements publics dont 17 ans à la tête de la Région Franche-Comté puis Bourgogne-Franche-Comté ?
Marie-Guite Dufay : Je suis dans un état d’esprit serein car la décision de démissionner, c’est moi qui l’ai prise seule en mon âme et conscience. Dire que je n’ai pas de nostalgie, c’est autre chose, et j’avais quand même quelques appréhensions sur les conséquences de cette décision en interne. Mais je vois que les choses se passent bien et que le passage de relais se fait dans la sérénité.
Càd : Vous saviez depuis plusieurs années que vous n’iriez pas au bout de ce dernier mandat ?
M.-G.D. : Il est clair que dès la réélection de 2021, je me suis dit que ce serait très long pour moi de tenir jusqu’en 2028. Si j’allais jusqu’au bout sans rien préparer, je ne voulais pas prendre le risque que le vide s’installe et je préférais donc que d’autres que moi se fassent connaître avant cette échéance. C’est désormais chose faite avec Jérôme Durain qui doit me succéder.
Càd : Pourquoi alors avoir accepté de repartir en 2021 ?
M.-G.D. : J’avais une grosse pression de mon camp pour m’inciter à repartir à un moment où la menace R.N., et ça s’est confirmé, était très forte. Dans ce contexte, j’ai dû faire face à des médias nationaux qui se demandaient ce que j’allais faire dans cette galère avec en plus, une gauche qui était divisée. Il n’y avait à l’époque pas beaucoup de personnalités politiques qui portaient le sujet de l’union de la gauche de façon concrète. J’ai essayé de le faire, je l’ai fait avec les communistes, seule, mais je n’ai pas réussi à le faire avec les Verts. Je n’étais pas dans l’idéologie, eux y étaient à cette époque et je reste convaincue qu’ils auraient eu plus d’élus s’ils avaient accepté l’union. Dans ce contexte compliqué, j’étais sans doute aussi un atout face au R.N. Je me suis sentie investie de cette obligation d’y aller. Tout en me disant qu’il faudra bien faire le point à mi-mandat sur la suite en cas de réélection.
Càd : Le Bourguignon Jérôme Durain fera un bon successeur ?
M.-G.D. : Jérôme Durain a une stature nationale, c’est aussi quelqu’un qui a une grande expérience de la Région puisqu’il est dans son troisième mandat. C’est un grand spécialiste de l’aménagement des territoires, comme l’est Éric Houlley côté franc-comtois. Je suis persuadé qu’il saura faire cela à l’échelle de la grande région. Il sait, et je lui ai demandé aussi, qu’il devra travailler à ce que l’équilibre des deux entités de la région soit respecté. S’il agit comme moi, le seul reproche qui pourra lui être fait par les Bourguignons est de faire trop attention à la Franche-Comté ! Moi, c’est l’inverse qu’on m’a souvent reproché ! En tout cas, il devra aller au contact sur le terrain sur l’ensemble du territoire, mais je pense qu’avec Jérôme Durain, la Région sera entre de bonnes mains.
Càd : Revenons quelques années en arrière, quand vous avez accédé à la présidence de la Région Franche-Comté en 2008 suite au décès de Raymond Forni. Vous étiez préparée à endosser la fonction ?
M.-G.D. : Pas du tout ! Raymond Forni me convoque un jour dans son bureau de président. C’était à l’époque où Paulette Guinchard m’avait demandé de me présenter aux législatives pour tenter de lui succéder. Il était en train de perdre ses forces. Il me dit : “Pour moi, c’est le plus beau mandat de la République.” Je pensais qu’il me parlait du mandat de député. Il ajoute ensuite : “Je ne suis pas éternel, il faut que tu penses à la Région…” Il est décédé six mois après et c’est alors que je me suis rendu compte qu’il m’avait délivré ce jour-là un message subliminal pour que je prenne sa suite. Mon expérience de la campagne des législatives entre-temps, même si je n’avais que très peu de chances d’être élue, m’a donné des forces pour la suite et pour prendre la succession de Raymond Forni à la tête de la région Franche-Comté en 2008.

Càd : Vous n’étiez pas dimensionnée ni préparée pour une telle fonction ?
M.-G.D. : Pas du tout en effet. En 2004, je me suis retrouvée sur la liste de Raymond Forni car c’était une liste de parti et que j’avais fait des questions de formation et d’emploi à la mairie de Besançon mes spécialités. Quatre ans après, alors que j’étais restée dans l’ombre de Raymond Forni pendant tout le début du mandat, je me retrouve à la présidence de la Région.
Càd : Les débuts ont été compliqués pour la femme de l’ombre et de dossiers que vous étiez ?
M.-G.D. : Je l’avoue. Me retrouver notamment face à des journalistes de la région dont certains me reprochaient de ne pas leur dire bonjour, tout cela parce que je m’effaçais dès que la presse était là et que je voulais absolument rester dans l’ombre de Raymond Forni et me contenter de lui apporter les dossiers, a été un peu compliqué au départ. Lui adorait la communication, moi je fuyais ça…
Càd : Qu’a appris la Franc-Comtoise Marie-Guite Dufay de la Bourgogne depuis la fusion des Régions ?
M.-G.D. : Je connaissais assez peu la Bourgogne sauf à travers la viticulture dont je m’étais peut-être fait des idées fausses. J’ai donc appris à connaître de l’intérieur cette terre viticole et j’ai découvert des vignerons viscéralement attachés à leur terre. J’ai découvert les climats de Bourgogne et leur si grande richesse écologique. J’ai découvert aussi une Bourgogne industrielle dans des territoires qui ont souffert par la perte de grandes usines mais qui ont été très résilients. J’ai découvert des secteurs ruraux comme la Nièvre ou le Morvan dans lesquels les maires des petites communes se battent tous les jours pour que leur territoire continue à survivre. J’y ai aussi découvert l’innovation technologique autour de l’automobile du côté de Magny-Cours ainsi que la force de l’industrie agronomique à Dijon. Et des territoires trop méconnus comme le secteur de Tonnerre où les élus se battent avec succès pour faire venir et retenir les jeunes.
Càd : À l’inverse, qu’a su tirer la Bourgogne des spécificités franc-comtoises ?
M.-G.D. : La Bourgogne a découvert avec la Franche-Comté que le mot coopération a un vrai sens et que la Franche-Comté le portait haut et fort dans de nombreux domaines. Grâce à ces notions de coopération, au final, les deux entités réunies ont su prouver à l’échelle de la France, notamment dans le monde industriel, que toutes les collectivités de cette région B.F.C. qui reste un confetti à l’échelle européenne, parlent d’une même voix et pour ces investisseurs industriels, ça compte énormément.
Càd : Si vous deviez retenir deux ou trois images fortes de vos 17 années de présidence ?
M.-G.D. : La première, c’est pendant le mandat franc-comtois avec l’extraordinaire organisation dont on a su faire preuve après la crise de 2008-2010 pour bâtir, avec mon vice-président Denis Sommer, cette expérimentation de sauvegarde des emplois pour faire en sorte que des centaines de salariés menacés de licenciement restent en entreprise. On a mobilisé tous les fonds possibles pour permettre à plus de 10 000 salariés d’être maintenus en emploi. Le deuxième temps fort, si particulier, c’est la période Covid. En moins de trois jours, dans ces bureaux de la Région square Castan à Besançon où on n’était plus que deux ou trois, on a réussi à bâtir une politique publique pour accompagner les collectivités et les associations avec un fonds régional d’intervention créé pour l’occasion. Il y a eu cet épisode des masques que la Région Grand Est s’était accaparés et pour laquelle je n’ai rien lâché jusqu’à en obtenir pour notre Région. Je retiendrai aussi l’énorme mobilisation autour des enjeux écologiques avec cette C.O.P. que nous avons créée et qui se décline aujourd’hui dans tous les départements de la Région avec des actions concrètes et des dizaines de propositions faites dans tous les domaines dans chaque territoire. À l’heure où sur ce sujet on constate des dérives inquiétantes à l’échelle gouvernementale de la part de certains ministres, par opportunisme, il est rassurant de voir mené à bien un tel dossier dans notre région.
Càd : Que retenez-vous comme regrets au moment de passer la main ?
M.-G.D. : Je retiens la douleur des relations que j’ai eues avec le monde agricole avec ces questions de dossiers d’aide. Par mon histoire familiale, je suis très attachée au milieu paysan et jusqu’à cet épisode, j’entretenais d’excellentes relations avec les paysans et leurs représentants. Sur ce dossier, j’ai un regret, c’est de ne pas avoir écouté mon directeur général des services qui m’avait prévenue que le transfert de ce dossier de l’État aux Régions allait être très compliqué. Et j’aurais dû faire une chose, même si nous avions été la seule Région à le faire, c’était de refuser le transfert. Mais ma dernière réunion officielle a été avec le monde agricole ce 17 juillet, elle a permis solder les comptes définitivement. Les autres douleurs, elles sont humaines, avec le décès l’an dernier de notre vice-présidente Nathalie Leblanc. Et bien sûr Paulette Guinchard… Sans elle, je n’aurais jamais été là. C’est elle qui m’a donné le goût de l’action publique et de l’engagement. Elle faisait les choses de manière tellement belle que ça m’a donné ce goût des autres.
Càd : En plusieurs décennies d’engagement, déplorez-vous une baisse de niveau des débats politiques ?
M.-G.D. : Clairement oui. La présence des élus R.N. à la Région a évidemment contribué à électriser les débats. Mais ce qui se passe dans notre assemblée est le reflet de ce qui se passe dans notre société où on sent bien qu’il y a une recherche permanente de solutions simples à des dossiers qui sont par nature compliqués. Ajoutons le poids des réseaux sociaux qui ne permettent en aucun cas d’expliquer la complexité.
Càd : Votre expérience vous pousse-t-elle à affirmer qu’une réforme des collectivités territoriales est devenue impérative ?
M.-G.D. : Je ne suis pas de ceux qui déplorent le millefeuille administratif. Et je me méfie des discours sur la simplification. La loi N.O.T.R.E. de 2015 a bien clarifié les missions des différentes collectivités et les Régions ont désormais beaucoup plus de relations avec les intercommunalités depuis cette loi. Ceux qui disent qu’il y a trop de strates sont souvent les mêmes qui vont solliciter tous les échelons pour obtenir des financements. Le vrai souci, c’est que notre collectivité territoriale n’a pas les moyens financiers de faire ce qu’on attend d’elle. Plus qu’une réforme territoriale, j’en appelle à une vraie réforme de la fiscalité. Mais actuellement, tout le monde doit se serrer la ceinture, y compris la Région, pour qu’on dépasse vite ces années d’endettement. Après, je pense que cette réforme fiscale devra s’imposer.
Càd : À quoi ressemblera la nouvelle vie de Marie-Guite Dufay ?
M.-G.D. : Mon souhait désormais, c’est de prendre le temps comme il vient ! Je parle de la météo de la vie. S’il fait beau, je pourrai un jour prendre mes chaussures de montagne pour aller marcher, prendre également le temps avec les amis, avec la famille. Je suis éprise de liberté. Je souhaite aussi m’engager dans de simples actions citoyennes. Pas forcément dans des associations qui ont sans doute besoin de jeunes recrues. Mais plutôt donner du temps à du bénévolat qui fait du bien, que ce soit dans le grand âge ou dans le jeune âge, par exemple lire des histoires ou des livres à ces personnes jeunes ou âgées. Je passe déjà des heures à lire des histoires et même L’Iliade ou L’Odyssée au téléphone avec mes petits-enfants de Marseille au téléphone ! (rires). Mon souhait est bien de prendre du temps et de donner du plaisir à des gens qui en manquent. Il y a beaucoup de petites choses à faire pour la société.