L'automne dans le Haut-Doubs est marquée depuis plus d’un siècle par l’écho des sonnailles et des meuglements qui animent l’ambiance si particulière des comices. Les plus belles vaches de chaque canton se retrouvent sur ces concours de beauté. un rendez-vous agricole qui a réussi depuis une vingtaine d’années son examen de ruralité associant les forces vives du village d’accueil

BOUJAILLES
Richard Ielsch, gardien de l’identité des comices

Producteur de lait à comté installé à Boujailles depuis 1992, Richard Ielsch, 55 ans, a remplacé en avril dernier Philippe Schaller à la tête de la Fédération des Comices du Doubs. un vrai défi à relever dans un univers de passionnés où il faut savoir raison gardée.

Le téléphone de Richard Ielsch est en surchauffe quand la saison des comices bat son plein. D’autant plus que l’engouement pour ces fêtes de la ruralité ne faiblit pas. “Le nombre d’éleveurs qui ont inscrit des bêtes augmente de 10 % par rapport à l’année dernière. Cela illustre la forte adhésion autour des comices qui sont à mon sens la plus belle vitrine de l’agriculture locale”, note celui qui était déjà vice-président de la Fédération des Comices du Doubs depuis onze ans. Rien d’étonnant donc de le voir prendre la succession de Philippe Schaller, retraité des stabulations depuis ce printemps.

Richard Ielsch avec le prix de grande championne mis en place cette année pour célébrer les 70 ans de la Fédération des comices du Doubs.

Le nouveau boss des comices du Doubs s’inscrit dans la continuité du sillon tracé par son prédécesseur. “On partage la même vision sur une fonction qui réclame beaucoup d’ouverture d’esprit et de diplomatie. Quand on est président de comice, il faut faire attention que la passion ne dépasse pas la raison.”

Originaire du secteur de Trévillers, Richard Ielsch n’a pas grandi à la ferme, ce qui ne l’a pas empêché de côtoyer très souvent cet univers chez ses oncles agriculteurs sur le plateau de Maîche voire chez son grand-père fromager à Courtefontaine. Suffisamment en tout cas pour qu’il décide d’en faire son métier.

Après son B.T.A. décroché à Byans-sur-Doubs, il révise ses gammes au service remplacement de Maîche, dépense son énergie dans le bûcheronnage qu’il exerce pendant deux ans chez son beau-père tout en cherchant une ferme à reprendre. “J’ai encore travaillé un an comme salarié dans l'agriculture en Suisse puis l’opportunité s’est présentée en 1992 de reprendre une exploitation à Boujailles”, explique celui qui est aujourd’hui associé avec son fils Loïc et son gendre Kevin au sein du G.A.E.C. de la Tour. Le trio soigne un troupeau de 80 vaches laitières en livrant le lait à la coopérative de Boujailles où Richard Ielsch était administrateur jusqu’en 2022.

Sitôt installé, il présente des bêtes au comice de Frasne en 1993. “Ce qui m’a toujours plu, c’est l’ambiance”, explique l’éleveur qui ne tardera pas à prendre des responsabilités jusqu’à devenir président du comice de Levier en 2010.

En quinze années, les comices du Doubs ont bien évolué pour devenir au fil du temps des fêtes villageoises à part entière. “On garde à l’esprit que la montbéliarde reste la reine des comices en y associant tous les acteurs du monde rural”, note Richard Ielsch, heureux de voir à quel point les jeunes s’impliquent dans l’organisation, qu’ils soient issus du monde agricole ou pas. Il y voit un événement fédérateur à tous points de vue.

À la différence des concours officiels, le comice ne repose pas sur des critères de production mais uniquement sur la morphologie des bêtes. Si la Fédération a défini un règlement commun, chaque comité d'organisation reste maître chez lui. “On travaille toujours avec le soutien de Montbéliard Association, du syndicat des éleveurs Montbéliard, du contrôle laitier, de Géniatest, sans oublier les Organismes de Sélection.”

Trois nouveaux administrateurs ont été élus lors du renouvellement du bureau de la fédération : Arnaud Malfroy du canton de Pontarlier, Thomas Groshenry à Ornans et Pascal Bonvalot à Saint-Hippolyte.

S’il tient à conserver les fondations historiques du comice : rendezvous automnal, formule itinérante en restant fidèle au découpage des anciens cantons, le président de la Fédération veut également s’adapter aux réalités climatiques, agricoles, sociétales. “Comme l’évolution du schéma de sélection de la race est plus axé sur la longévité, on va tester le Prix senior sur quatre comices avec l’idée peut être de le généraliser en 2024. On sait que c’est la sélection et les modes d’élevage qui favorisent la longévité. Ce critère va aussi dans le sens du bien-être animal.”

Pour le grand public, le comice reste aussi l’occasion d’apprécier à quel point la complicité éleveur-vache est forte dans le Doubs. “On manipule moins les bêtes depuis qu’elles sont en stabulation libre et pourtant elles restent très dociles comme on a encore pu le constater lors du dernier super-comice”, s’en étonne encore Richard Ielsch en se rappelant ces centaines de vaches qui circulaient au milieu de la foule sans le moindre incident.

2023 marque les 70 ans de la Fédération des comices qui lance un prix de grande championne pour célébrer l’événement. “On installera un tableau sur chaque comice qui retrace cet historique. En 1953, il y avait 23 comices dans le Doubs contre 21 aujourd'hui. C’est très stable. Il n’y a pas de zone blanche dans le département où chaque éleveur peut tout à fait se présenter sur un comice si rien n’est organisé dans son canton.”

Fidèle à ses prédécesseurs, Richard Ielsch ne manquera pas non plus à l’heure des discours de s’exprimer sur les enjeux et l’actualité agricoles du moment : l’environnement, le loup… “On sait que le Doubs reste le département où il y a sans doute le plus de comices. On vient de partout pour admirer les bêtes et s'imprégner de l’ambiance. Quand on gagne au comice, c’est toujours une fierté pour l’éleveur, la validation d’un travail de sélection et la reconnaissance de ses pairs.”

DÉCRYPTAGE
Comice : les clefs du succès

Des leçons d’agriculture qui caractérisaient les premiers comices organisés dans le Doubs vers 1820 à la version fête de la ruralité qui s’impose depuis une vingtaine années en passant par la création d'une fédération départementale dont on célèbre les 70 ans d’existence, invitation à découvrir et comprendre pourquoi les comices dans le Doubs ont si bien résisté au temps qui passe. Entretien avec Philippe Marguet, ancien administrateur de la Fédération et auteur de plusieurs ouvrages sur les comices.

“Les comices ont su se démocratiser en basculant dans les années 2000”, explique Philippe Marguet ancien administrateur de la Fédération départementale des comices et auteur de plusieurs livres sur les comices.

Le Doubs Agricole : Les premiers comices étaient bien différents de la version actuelle ?

Philippe Marguet : Ils reflétaient déjà une incitation à tendre vers le progrès, ce qui est toujours d’actualité sur la partie agricole. Les premiers comices ont été organisés dans le Doubs vers les années 1820-1830. À l’époque, il s’agissait de leçons d’agriculture données par le professeur Bonnet à l’initiative des comices. Dans ses interventions, il parlait aussi bien de zootechnie que d’agronomie. Les comices se déroulaient souvent en semaine, parfois en deux voire trois rassemblements en fonction de la taille des cantons. On célébrait les plus belles vaches en organisant aussi des concours pour les chevaux, les ovins. On distribuait le prix de la plus belle ferme, de la plus belle prairie, de la plus belle culture. Les comices servaient d’expertise pour inscrire les animaux au Herd-Book Montbéliard Association. Le maître mot, c’est encouragement.

LDA : Pourquoi créer une fédération départementale ?
PM : Certains comices ont traversé des difficultés financières au début des années cinquante avec un risque de les voir disparaître. Parmi les solutions envisagées, on a émis l’idée de faire le comice tous les deux ans. Ces réflexions ont abouti à la création d’une Fédération destinée à mieux encadrer les comices financièrement. Cette fédération devait aussi contribuer à renforcer le volet sanitaire. Sur ce plan-là, on peut parler d’une formidable évolution. On ne vient plus sur un comice sans garantie sanitaire. Henri Chatras, agriculteur à Pierrefontaine-les-Varans, fut le premier président de la Fédération qui a vu le jour en 1953.

LDA : Comment expliquer la popularité des comices ?
PM : Il y a plusieurs raisons. La formule d’organisation tournante entre les différents villages d’un canton participe à cette dynamique. La notoriété de la race montbéliarde et le succès de la filière comté et des autres A.O.P. fromagères sont aussi des facteurs explicatifs. Le comice n’est pas sectaire mais reste un lieu ouvert à tous les éleveurs quel que soit le schéma de sélection auquel ils adhèrent. Les comices ont su se démocratiser en basculant dans les années 2000. Tout est parti du comice des Granges-Narboz en 2004 où la partie décoration, animation a été gérée par une population non agricole. Conséquence : le comice est devenu une fête de la ruralité avec l’implication des associations, des écoles. L’organisation d’un comice repose la plupart du temps sur une association temporaire pour les volets animation, décoration et sur une association permanente qui s’occupe des aspects agricoles. Cette évolution se retrouve dans la composition des défilés qui accorde autant de place aux bêtes qu’aux forces vives du monde rural. Toutes les générations s’y retrouvent.

LDA : Et le volet agricole ?
PM : C’est toujours la pierre angulaire. L’avenir des comices, ce n’est pas le nombre d’animaux présentés mais le nombre d’élevages qui participent. La manière de juger les bêtes reflète aussi les évolutions du standard de la race. Cette année, l’Organisme de Sélection a revu sa copie en donnant plus d’importance aux aplombs, c’est-à-dire à la capacité de l’animal à vivre, à vieillir.

LDA : La démocratisation, c’est aussi le Super comice qui s’invite en ville ?
PM : L’idée du Super comice est née au passage à l’an 2000 dans le prolongement du comice des quatre cantons organisé à la Haute-Foire. Le prochain aura lieu en 2025.

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