Après quatre années de suivi, les premiers résultats du programme Careli ont fait l’objet d’un article publié dans le journal “Scientific Reports”. Ils portent sur les effets de la gestion du renard roux sur les volailles dans différentes zones du Doubs. Résultat : la chasse du renard n’a pas d’impact significatif sur la population de l’espèce tout comme au niveau des dommages qu’il est susceptible d’occasionner dans les poulaillers.

L’étude sur les dommages causés aux volailles d’élevage s‘est déroulée du 6 avril 2021 au 6 janvier 2025. Il s’agissait de comparer deux zones où le renard est protégé à deux zones où il est classé comme E.S.O.D., c’est-à-dire chassable et piégeable. Les deux territoires d’étude sont considérés comme représentatifs des principaux socio-écosystèmes du Doubs. La F.N.E. s’est chargée de la gestion des dégâts sur les volailles et la Fédération de chasse du comptage des renards vivants et tués.

Une meilleure protection des poulaillers semble plus efficace qu’une élimination accrue des renards (photo Valentin Giboulot).

Sur les 231 poulaillers étudiés, 73 % correspondent à des exploitations familiales. Un état des dégâts était réalisé tous les six mois avec les propriétaires des poulaillers. Au cours des quatre années d’étude, 1 105 volailles ont été prédatées dans 109 des 231 poulaillers avec une population moyenne permanente de 10 883 volailles. Sur les 1 105 volailles, 628, soit 48,3 % ont pu être attribués à la catégorie “renard” ou “renard probable”.

La pression d’élimination des renards qui varie entre 10 et 16 % de renards tués à la chasse dans les deux zones n’a pas eu d’effet tangible sur la prédation dans les poulaillers. « Nous n’avons pas trouvé de différences statistiquement significatives entre les deux zones (E.S.O.D. ou protégé) dans les deux sites d’étude », observent les auteurs de l’étude. 41 % des effractions étaient liées à la négligence humaine et 36 % à des abris insuffisants. « Seule une meilleure protection des abris et des parcours extérieurs permettrait de réduire de façon significative la prédation de renards. »

Thibaut Powolny, directeur technique et scientifique à la Fédération de chasse confirme que le piégeage et la chasse n’ont pas eu d’impact sur la population de renards. Sur le programme Careli, il note : « Ce programme a été mené avec des structures qui pouvaient avoir des points de vue assez opposés. C’est aussi une des réelles plus-values de Careli. Ce premier article sera à réactualiser dans cinq ans. »

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ZOOM

Le programme Careli a pour objet l’étude des effets éventuels de la "protection" d’une population de renards comparés à son classement comme chassable et susceptible d’occasionner des dégâts. Débuté en 2019, ce programme, et c’est une première, réunit le monde de l’agriculture, de la chasse, de la santé, accompagné de naturalistes et des chercheurs de l’université de Franche-Comté. Tous ont validé le besoin de mesurer objectivement les effets d’une prise de décision réglementaire. Collectivement, ils participent au dispositif de recherche-action baptisé Careli, pour CAmpagnols REnard LIèvre. Cette démarche a pour but la mise en place d’une gestion adaptative du renard. Dans un premier temps, la comparaison des effets d’une différence de statut porte sur les populations de renards, de campagnols terrestres, de lièvres. Il est aussi question d’analyser la contamination du milieu par l’échinocoque alvéolaire et les bactéries du genre Borrelia, causes de la maladie de Lyme. La comparaison des dégâts s’étend aussi aux élevages avicoles et à d’autres espèces comme les oiseaux nicheurs au sol. Le timing de l’étude est calé sur les cycles démographiques du campagnol terrestre qui constitue une source importante de nourriture pour les carnivores du Haut-Doubs. Deux zones d’étude ont été délimitées autour du Val de Mouthe et de la région de Valdahon-Vercel. Chaque zone étant elle-même subdivisée en une sous-zone où le renard est chassable et une autre sous-zone où il ne l’est pas. Pour chaque sous-zone, pendant 10 ans, différents suivis seront réalisés afin de mesurer les deux types de gestion.

L’éclairage et la neutralité scientifique

Patrick Giraudoux, écologue au laboratoire Chronoenvironnement, est, avec ses partenaires, à l’origine du programme Careli;

Si la particularité du programme Careli est de réunir le monde de l’agriculture, de la chasse, de la santé, des naturalistes et des scientifiques de l’université Marie et Louis Pasteur, l’équilibre - et l’entente - restent fragiles. Les scientifiques du laboratoire chrono-environnement font donc figure de neutralité. Seule la preuve scientifique fait foi. “Le conflit était ouvert entre ceux qui voulaient protéger le renard et ceux qui voulaient lui donner le statut d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts (donc destructible hors saison de chasse), E.S.O.D. Chacun a sa vérité. On se met autour de la table et on arrive à de la nuance, à accepter un point de vue”, situe Patrick Giraudoux, écologue et coordinateur scientifique du programme. Cinq ans après le début du programme, les premiers résultats sur l’impact du statut E.S.O.D. sont tombés. “Ils ont été publiés dans une revue scientifique, Scientific Reports, précise au préalable Patrick Giraudoux. Il n'y a une diffusion que si les résultats sont acceptés par la communauté scientifique. Les résultats sont très solides (voir ci-dessus). La réglementation E.S.O.D. telle que pratiquée maintenant est totalement inadaptée. La réponse n’est pas forcément sur l’espèce à l’échelle nationale, mais plutôt localement et pas que sur la destruction. C’est très dur à entendre pour les parties, il faut arriver à plus de nuances, de subtilité, l’examen objectif de la situation locale. Cela veut dire qu’il faut peut-être revenir sur le statut de certaines espèces protégées qui font des dégâts et éviter de tuer des espèces fragiles localement mais chassables qui ne font pas de dégâts, comme la bécassine des marais. On vit dans une société de plus en plus déconnectée de la faune sauvage. Pour beaucoup de personnes, n’étant plus ruraux, la mort d’un animal est insupportable. D’un autre côté, on vit avec la faune sauvage dans la ville. Les végétalisations apportent de la biodiversité, donc des moustiques, des tiques. Les renards, les sangliers sont déjà là. La position “On ne touche à rien” n’est pas tenable. Il faut qu’on arrive à forger de nouvelles attitudes. C’est ce qu’on essaie de montrer dans le programme Careli.” S’étalant sur dix ans, le programme Careli n’est encore qu’à mi-chemin et n’a livré qu’une petite partie des résultats.