À l’instar de Jean-Marie Pobelle, ancien président de la chambre d’agriculture, l’éleveur Claude Taillard aux Fins a vécu la mise en place d’une filière qui fait aujourd’hui la fierté du Haut-Doubs. Il se souvient.

Au hameau de Chez le Roy, aux Fins, la ferme Taillard est emblématique de cette organisation désormais bien huilée de la filière montbéliarde et comté. Un solide G.A.E.C., membre de la coopérative des Suchaux, contribue comme autant d’autres exploitations à ce subtil équilibre entre producteurs de lait, coopératives fromagères et affineurs. Les Fins, berceau de la race montbéliarde, se targuent d’ailleurs d’être aujourd’hui encore avec une quarantaine d’exploitants sur une vingtaine de fermes, la commune la plus agricole du Doubs.

Mais pour en arriver là, “ce fut un très long combat, car tout le monde n’avait pas la même vision des choses dans les années soixante-dix” se souvient Claude Taillard. Une époque où le comté s’appelait encore gruyère de comté et où les exploitants partageaient leur production entre gruyère et emmental. “À cette époque, les Bretons se sont mis à construire de grosses usines pour fabriquer de l’emmental. Il s’est ensuivi une banalisation du produit et une inévitable baisse des prix. On n’aurait pas pu lutter bien longtemps, il a donc fallu que la filière s’organise autrement.”

Producteur de lait aujourd’hui retraité, Claude Taillard a également été président de l’U.P.R.A. Montbéliarde de 1997 à 2007.

Certains étaient pourtant partisans de cette course au gigantisme. “Je me souviens d’un directeur des services agricoles qui avait dit : “Il y a 400 coops dans le Doubs, c’est 399 de trop !” Heureusement, la profession a réagi.” Et certains acteurs de la filière lait, l’ancien maire de Loray Jean-Marie Pobelle en fut un, ont réagi. “On doit aussi l’organisation de la filière à des gens comme René Poly, un Jurassien qui avait été nommé directeur de l’agriculture en Franche-Comté. Il avait réussi quelques années plus tôt à fédérer les viticulteurs de Champagne en créant un comité interprofessionnel. Il a incité la profession à faire le même travail au sein du C.I.G.C.”

Le comté avait alors choisi son camp : celui de la qualité, avec la mise en place d’un cahier des charges strict, une livraison du lait au maximum à 25 km du lieu de production, l’instauration des plaques vertes, etc. “Mais pendant longtemps, le prix du lait a eu du mal à décoller. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que cette politique commence à payer, avec un prix du lait correct” se remémore Claude Taillard.

La notoriété du comté a commencé à s’imposer dans la région et rapidement bien au-delà des frontières régionales. Les affineurs ont joué le jeu, en laissant toute latitude au producteur pour la transformation de son lait et aux coopératives la possibilité de dénoncer son contrat avec l’affineur quand il le souhaite. Même liberté pour le producteur qui peut quitter sa coopérative et toute la filière se tient ainsi dans une relation gagnant-gagnant. Aujourd’hui, le lait de la filière A.O.P. comté est vendu aux environs de 600 euros la tonne par les producteurs, contre 400 euros pour du lait standard hors zone A.O.P. Ces bons prix ont permis aux coopérateurs d’investir lourdement dans la modernisation de l’outil de production. Les 10 producteurs affiliés à la coopérative des Suchaux ont ainsi pu investir la bagatelle de 4,5 millions d’euros pour la récente réfection des caves. “Mais tout cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, résume Claude Taillard. Il a fallu plusieurs décennies pour trouver ce bon équilibre.”

La bonne santé de la filière comté ne doit pas masquer pour autant les difficultés globales de la profession agricole. Pour Claude Taillard, “un pays comme la France qui ne serait pas capable de nourrir sa population et qui importe 40 % de sa viande ou de ses fruits et légumes, c’est incompréhensible !” juge-t-il.


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