Si le comté, le morbier et le mont d’or occupent avantageusement l’espace médiatique, d’autres fromages méritent également considération. Par son abnégation, son exigence à vouloir aboutir à un cahier des charges qui n’a rien à envier aux autres, la filière I.G.P. gruyère de France a surmonté bien des obstacles, et levé bien des freins pour faire son trou dans le paysage fromager régional voire interrégional. (photo d’introduction Valérie Szewczyk)

LE PRÉSIDENT - “L’objectif est de stabiliser les volumes en pérennisant les outils”

Satisfait des actions de promotion organisées pour célébrer les 10 ans de l’i.G.P. gruyère de France, Julien Couval qui préside depuis 2019 le syndicat interprofessionnel revient sur l’actualité d’une filière qui a encore besoin de se faire connaître.

Le Doubs Agricole : Quel bilan peut-on tirer de cette semaine festive qui s’est déroulée de fin septembre à octobre entre la Savoie et la Franche-Comté ?
Julien Couval : Rappelons que tous les acteurs de la filière gruyère étaient mobilisés avec des portes ouvertes dans les fermes, les ateliers et en cave. C’est un vrai succès. On a reçu des voisins sur notre exploitation à Richecourt qui ne savaient pas que l’on fabriquait du gruyère.

LDA : Il reste encore de gros effets de communication à faire ?
JC : Tout à fait. Sur les stands, on a constaté que les gens commencent seulement à faire la différence entre un produit générique et un produit sous signe de qualité comme l’I.G.P. gruyère de France. C’est peut-être un détail mais assez révélateur : quand on a commencé à installer les panneaux “ferme à gruyère I.G.P.” devant les fermes, on a très vite observé une forte croissance de la consommation locale.

“L’effet Covid a bien aidé la filière”, explique Julien Couval, le président de l'interprofessio n est aussi un producteur installé en G.A.E.C. à Aisey-et- Richecourt en Haute-Saône.

LDA : L’obtention de l’I.G.P. a-t-elle eu un impact sur le développement de la filière ?
JC : L’obtention de l’I.G.P. en 2013 a permis à la filière de se développer pour atteindre son volume de production actuel autour de 2 700 tonnes commercialisées avec l’objectif d’arriver un jour à franchir le cap des 3 000 tonnes. La crise sanitaire a bien aidé la filière car les gens ont préféré se replier sur le fromage sous-vide et le râpé.

LDA : Il existe encore des marges de progression ?
JC : On a enregistré quelques conversions en 2016 mais la production a tendance aujourd’hui à se stabiliser. Demain, le défi sera de garder les producteurs. On est aussi à un prix de 550 euros les 1 000 litres. On a gagné pratiquement 90 euros en un an. Pour autant, même si le lait est mieux rémunéré, cela ne suffit pas toujours à attirer de nouveaux producteurs qui préfèrent s’orienter dans la culture. C’est moins contraignant.

LDA : La filière I.G.P. gruyère de France rassemble combien d’exploitations ?
JC : Au total, 180 avec deux gros bassins en Haute-Saône et dans le Doubs qui sont dans des contextes bien distincts. On a entre 70 et 80 exploitations en Haute-Saône dont la production est entièrement transformée en gruyère. La donne est différente dans le Haut-Doubs où l’on compte entre 50 et 60 fermes pour qui le gruyère est une forme de diversification dans une production orientée principalement vers les fromages A.O.P. : comté, morbier… On retrouve le même schéma en Savoie.

LDA : En dehors des acteurs de la filière, qui s’occupe du syndicat interprofessionnel du gruyère de France ?
JC : J’ai la chance d’être bien entouré au conseil d’administration. On peut compter sur une “super animatrice” en la personne de Nathalie Coronel. Pour être plus efficace, on sollicite également une prestataire et une agence en communication.

LDA : L’I.G.P. gruyère partage-t-elle des similitudes avec l’A.O.P. comté ?
JC : On a quand même des origines communes. On fonctionne sur le même principe de contingentement des plaques jaunes. On encadre l’intensification en limitant la production à 5 000 litres à l’hectare de surface fourragère. On reprend aussi la limite des concentrés à 1 800 kg par vache et par an. On a bien sûr des différences dans le nombre de races autorisées. La durée maximale d’affinage pour une meule de gruyère ne va pas au-delà de 8 mois alors qu’elle peut dépasser 36 mois dans le comté. Sans oublier l’obligation pour le gruyère de France d’avoir des trous.

LDA : Le robot est-il autorisé ?
JC : Oui, mais en préservant le principe de deux traites par jour et celui de garder le lait de la veille dans la fabrication du matin.

LDA : Comment vous entendez-vous avec la filière A.O.C. gruyère suisse ?
JC : On a une bonne relation avec des efforts communs pour lutter contre les contrefaçons qui usurpent souvent le nom gruyère. Il y a presque toujours un dossier en cours de traitement.

Publipresse, agence de communication globale

FABRICATION - La tradition dans la modernité

La recette du gruyère de France n’a pas changé depuis des siècles. elle repose toujours sur le savoir-faire du fromager qui intervient dans des ateliers modernes et performants.

Benjamin, fromager en second à la coopérative de Trévillers, teste la consistance des grains de caillé, ultime étape avant le soutirage, moulage et pressage des meules de gruyère.

Pour faire un bon gruyère, il faut se lever tôt. Ce matin à la coopérative des fruitières réunies de Trévillers, Gilles Sanchez le maître-fromager, Benjamin l’un des deux seconds, et Valentin l’aide fromager sont à pied d’oeuvre depuis 5 heures. Le lait cru collecté dans les fermes des alentours est versé dans les grandes cuves de 5 700 litres qui permettront de fabriquer 12 meules.

“On suit la recette d’une pâte pressée cuite. La cuve sera chauffée à 53 °C pendant environ 25 minutes. Il faut 475 litres de lait pour fabriquer une meule de gruyère”, résume Gilles Sanchez.

Par rapport au comté, le processus est sensiblement le même avec une température de chauffe un peu plus basse et plus d’écrémage pour la fabrication du gruyère. Après l’ajout des ferments, Benjamin qui supervise la fabrication du jour attend que le mélange arrive à maturation pour verser la présure qui provoquera la formation du caillé. Lequel sera ensuite brassé et découpé à l’aide d’un tranche-caillé. Le mélange est alors porté à la température minimum de 52 °C. C’est là qu’intervient tout le savoir-faire du fromager qui va tester manuellement la consistance du grain dans la cuve. Quand ce dernier est suffisamment ferme, le caillé est versé dans les moules pour être pressé afin d’en extraire le petit-lait.

“Un premier démoulage permet d’apposer sur le talon la “plaque jaune” assurant la traçabilité de chaque fromage. Les meules de gruyère sont pressées 12 heures puis démoulées pour être placées dans la cave de pré-affinage à une température comprise entre 8 °C et 15 °C”, précise Benjamin.

Elles seront régulièrement retournées, et frottées au sel ou à la saumure pendant un mois avant d’aller chez l’affineur.

Les plaques jaunes sont apposées par Valentin, aide-fromager, sur le talon de la meule.

TRÉVILLERS - “Le choix de partir sur le gruyère a permis de pérenniser l’entreprise”

Coopérative à emmental grand cru reconvertie dans le comté, la fromagerie de trévillers à fait le choix de se diversifier dans la vente directe et dans la fabrication du gruyère.

Des producteurs et un fromager fiers de fabriquer du gruyère. De gauche à droite, Bruno Rousset le président de la coopérative, Gilles Sanchez le maître-fromager, Nicolas Mougin et David Jobin, les deux producteurs qui sont au conseil d’administration du syndicat gruyère de France

Coopérative à emmental grand cru reconvertie dans le comté, la fromagerie de Trévillers a fait le choix de se diversifier dans la vente directe et dans la fabrication du gruyère. Si l’équipe de Gilles Sanchez, le maître-fromager de Trévillers, bénéficie d’un environnement de travail confortable avec un nouvel atelier inauguré en juillet 2022, c’est en partie grâce aux orientations prises par les dirigeants de cette coopérative qui rassemble 35 exploitations et collecte 9,6 millions de litres de lait. Le bassin laitier du nord du Haut-Doubs était historiquement tourné vers la production d’emmental grand cru avant de se reconvertir dans le comté. Un choix ô combien pertinent mais contingenté, ce qui suppose de trouver d’autres sources de valorisation. Les sociétaires de la coopérative des fruitières réunies ont fait le pari de la diversification.

“On a ouvert plusieurs magasins à Trévillers, Valentigney, Danjoutin et à Soppe-le-Bas dans le Haut-Rhin”, explique Bruno Rousset, le président.

La diversification, c’est aussi l’engagement en 2008 dans la filière I.G.P. gruyère de France. Le plateau de fromages de Trévillers fait toujours la part belle au comté qui représente 75 % du volume de lait transformé chaque année. On retrouve ensuite le gruyère à 22 % et le reste est composé de morbier, raclette et produits laitiers. L’option gruyère rime aussi avec la volonté de fabriquer un produit de qualité comme en témoignent les médailles remportées dans cette catégorie.
Et Trévillers veut jouer un rôle actif dans la filière. Deux sociétaires, David Jobin et Nicolas Mougin, sont d'ailleurs au conseil d’administration du Syndicat Interprofessionnel du Gruyère de France (S.I.G.). “Tous les producteurs de la coopérative sont agréés gruyère”, annonce David Jobin. Les deux administrateurs du S.I.G. participent aux réunions du syndicat.
Tous les magasins rattachés à la fromagerie de Trévillers étaient mobilisés dans les animations organisées pour les 10 ans de l’I.G.P. gruyère de France. “Une grosse partie du budget du S.I.G. est absorbée dans les actions de communication. C’est un produit qui mérite d’être plus connu. Le choix de partir sur le gruyère a permis de pérenniser l’entreprise”, apprécie Bruno Rousset.

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