À l’aube de cette année 2024, la présidente du Conseil départemental du Doubs défend les orientations de sa majorité dans un contexte qui s’annonce tendu, et répond aux critiques de son opposition. Interview de rentrée.

C’est à dire : Vous avez évoqué l’année 2024 comme “une traversée qui ne sera pas de tout repos” pour la collectivité que vous présidez. Dans ce contexte, comment envisagez-vous d’éviter des hausses d’impôt à l’avenir ?
Christine Bouquin : J’ai effectivement mis en avant les vents contraires auxquels nous devrons faire face et qui vont rendre la traversée de l’année 2024 plus difficile. Entre le ralentissement économique annoncé, l’accroissement de la pauvreté et de la demande sociale ou le questionnement sur la décentralisation et des moyens dévolus aux collectivités, les vents seront moins favorables. En marins avisés, nous ajustons la voilure mais nous gardons notre cap ! Nous continuons nos actions au bénéfice des Doubiens. Nous augmentons par exemple les moyens alloués à la protection de l’enfance et nous confirmons notre haut niveau d’investissement pour que le Doubs reste un département attractif. Pour ce qui est de la hausse d’impôt, je rappelle que les Départements n’ont plus aucun pouvoir de taux sur la fiscalité qu’ils perçoivent. Nous ne serons donc à l’origine d’aucune hausse d’impôts. D’ailleurs, même quand nous en avions encore la possibilité, notre majorité n’a pas augmenté les taux durant toute la dernière décennie.

Christine Bouquin s’apprête à entamer sa dixième année à la tête de l’exécutif départemental.

Càd : Le recours à l’emprunt n’est-il pas risqué avec les taux actuels ? Pourquoi ne faites-vous pas appel à plus d’autofinancement alors que vous avez toujours privilégié l’épargne ?
C.B. : Il faut se souvenir que nous avons déjà connu des périodes avec des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Par ailleurs, dans une période de forte inflation, des taux élevés ne sont pas aussi problématiques en soi. De plus, comme nous le faisons régulièrement, ces emprunts pourront faire l’objet de renégociations en période de baisse des taux. Concernant l’épargne, elle est le fruit des efforts de gestion menés sur nos dépenses de fonctionnement ces dernières années, conjugués avec une dynamique des recettes de fonctionnement. La croissance économique post-Covid a ainsi généré plus de T.V.A., dont l’État nous reverse une partie. De même, la bonne santé du marché immobilier a favorisé la forte progression des droits de mutation à titre onéreux (D.M.T.O.) jusqu’en 2022. Depuis 2023, nous devons faire face à un effet ciseaux entre nos recettes et nos dépenses. Nous sommes confrontés à une évolution plus rapide de dépenses sur lesquelles nous n’avons pas prise, puisque décidées par l’État, comme la revalorisation du R.S.A. par exemple, et une chute des recettes comme pour les D.M.T.O. Cela conduit inéluctablement à la contraction de notre épargne.

Càd : Pouvez-vous nous fournir des détails sur le montant prévu de cette fameuse D.M.T.O. pour les années 2024 et 2025 ?
C.B. : Le montant des D.M.T.O. prévu en 2024 est de 71 millions d’euros, ce qui signifie 20 millions de moins dans nos recettes par rapport à 2021 et 2022. Pour 2025, il est encore trop tôt pour faire des Prévisions. Cela dépendra de l’évolution en 2024 du marché immobilier et donc des taux d’intérêt.

Càd : L’opposition estime que le budget des solidarités est insuffisant... Que lui répondez-vous ?
C.B. : Il y a les mots... et il y a la réalité... La réalité, chaque Doubien peut la vérifier en lisant le budget que les 24 élus de la majorité ont voté avec l’appui des deux élus du groupe Ensemble pour le Doubs. Cette réalité, elle est concrète et porteuse d’avenir. Concrète car les solidarités, ce sont 344,8 millions d’euros, soit 62 % de notre budget global. C’est un budget en hausse de + 7,1 %, soit près de 3 fois l’inflation annoncée pour 2024. Porteuse d’avenir car il y a plus de moyens alloués pour les E.H.P.A.D., pour les Services d’aides à domicile, pour la protection de l’enfance et la famille... C’est cela la réalité ! On a le droit de trouver cela insuffisant. Mais dans ce cas, il faut aussi faire des propositions plus sérieuses que celles de voter un budget en déséquilibre ou de réduire les investissements dont le Doubs a besoin ! Qui peut sérieusement dire qu’investir pour la rénovation énergétique de nos collèges, pour la sécurisation de nos ponts, de nos routes ou pour accompagner les communes et les intercommunalités dans la réalisation des aménagements attendus par leurs habitants peut être reporté à un avenir plus lointain ? La transition de nos territoires se joue maintenant et le Département tient pleinement son rôle.

Càd : Comment le Département peut-il faire face à la situation difficile des enfants placés (C.D.E.F.) et des mineurs non accompagnés ? En appelez-vous aux villes, à l’État ? Au-delà de l’émotion, quelles solutions préconisez-vous ?
C.B. : Je peux vous assurer que s’il y a un sujet qui me préoccupe à chaque instant, c’est bien celui de la protection de l’enfance. Le Département protège aujourd’hui près de 1900 enfants, y compris des bébés. En un an, la progression a été de + 10 %. Cela crée effectivement des tensions auxquelles nous faisons face. Cela nécessite de trouver des places d’accueil et d’avoir du personnel. Mais construire de nouveaux lieux d’accueil, cela prend du temps. De même, il n’y a pas de génération spontanée d’éducateurs ou d’assistants familiaux. Il faut du temps pour les recruter, les former. Et il faut aussi donner envie d’exercer ces métiers essentiels pour notre société. C’est pourquoi, avec les professionnels, nous agirons pour promouvoir et valoriser ces métiers. Il faut aussi agir avec la Prévention maternelle et infantile pour renforcer les actions de prévention précoce, essentielles pour dépister les facteurs de risques qui pourraient déboucher sur une prise en charge ultérieure en protection de l’enfance.

Càd : Les perspectives ne sont pas forcément optimistes pour l’emploi dans le Doubs en 2024. Comment le Département appréhende-t-il cette situation ?
C.B. : Les économistes tablent en effet l’an prochain sur un net ralentissement de l’activité avec une croissance qui atteindrait péniblement 0,8 % du produit intérieur brut. Mais, même si cela ralentit, cela ne s’arrête pas. Le Doubs a un tissu industriel qui travaille sur des marchés porteurs, l’économie frontalière reste dynamique. Beaucoup de secteurs d’activité, d’entreprises et d’employeurs continuent à nous faire part de leur difficulté à trouver du personnel et des compétences. Notamment dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration ou de l’aide à domicile. Il y a donc encore des opportunités d’emploi. Et nous ferons tout pour accompagner le plus grand nombre de nos bénéficiaires du R.S.A. vers l’emploi.

Càd : En matière de logement, comment répondre à la tension, notamment dans le Haut-Doubs (au-delà du dispositif des tiny houses qui arrive notamment à Pontarlier) ?
C.B. : Le Département s’est doté d’un plan départemental d’action pour le logement de l’hébergement des personnes défavorisées. Ce plan prévoit l’accompagnement social vers et dans le logement. Nous le faisons en étroite collaboration avec les bailleurs sociaux. Les tiny houses font partie de ce plan. Elles sont une expérimentation, pour répondre à un besoin urgent. C’est un concept nouveau d’habitat déplaçable, modulable et à moindre coût. Les locataires ne payent pas de charges. Pour compléter cette offre, nous mobilisons le fonds de solidarité logement. Pour aider les publics les plus fragiles à faire face à l’augmentation des coûts de l’énergie. Enfin, nous proposons un accompagnement technique et financier aux élus locaux pour lutter contre l’habitat indigne.

Càd : L’opposition vous a titillé sur votre politique en matière de ressources humaines au sein même de la collectivité que vous présidez, en évoquant un malaise. Quels sont les axes d’amélioration, un travail est-il engagé sur ce point (en dehors des primes, par définition ponctuelles) ?
C.B. : Je m’inscris en faux contre les propos de l’opposition sur ce sujet. Mais aussi sur le procédé employé. Utiliser un rapport d’un député à l’Assemblée Nationale sur le sujet du mal-travail en France pour faire croire que ce serait le cas au sein de notre collectivité est profondément malhonnête et mensonger. Je dirais même diffamatoire pour le vice-président en charge de ce sujet, les directeurs et même les partenaires sociaux au sein de la collectivité. Je ne dis pas que tout est parfait. Mais une chose est sûre, c’est qu’au Département du Doubs nous sommes attachés à œuvrer pour la qualité de vie au travail en n’oubliant jamais notre mission de service public. Je le dis, cette façon de faire est d’autant plus malhonnête que ceux qui ont tenu ces propos dans l’opposition participent aux instances et connaissent parfaitement la réalité et la qualité de notre dialogue social. Le Doubs fait partie des 20 % des Départements en France qui ont mis en place la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. Nous développons avec les agents notre marque employeur. Nous proposons des carrières et des missions variées. Nous recrutons et formons de plus en plus d’apprentis. Nous avons un plan de développement des compétences qui accompagne la progression professionnelle des agents... C’est cela la réalité de notre collectivité !

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Càd : Une dizaine d’E.H.P.A.D. de ce département sont confrontés à des difficultés financières. Au-delà de l’aide exceptionnelle votée lors de la dernière session de décembre, quelle est la solution ?
C.B. : Avant d’aller au-delà, je tiens à insister sur cette aide exceptionnelle d’1 million d’euros que le Département mobilise au bénéfice de neuf E.H.P.A.D. en difficulté financière. Il faut rappeler que cela n’est pas obligatoire pour notre collectivité. C’est une mobilisation volontaire. Nous le faisons car nous avons le souci de la qualité de l’hébergement des résidents. Nous agissons également sur le volet investissement en mobilisant 10 millions d’euros pour la construction ou la rénovation d’un certain nombre d’E.H.P.A.D. Nous mobilisons donc des moyens importants pour ces établissements. Mais il faut aussi que les autres acteurs concernés, comme l’A.R.S., mais aussi les établissements eux-mêmes, prennent les mesures nécessaires et assument pleinement leur rôle pour faire vivre ces structures.

Càd : Christine Bouquin, plaidez-vous en faveur d’un nouvel acte de décentralisation et estimez-vous nécessaire une nouvelle réforme territoriale ?
C.B. : Absolument. Tout comme l’ensemble des présidents de Départements en France, je crois qu’il est absolument essentiel de reconstruire la décentralisation avec les Départements. Il faut redéfinir la nature de la relation avec l’État, déterminer le bon niveau d’action, la nécessité de repenser le modèle pour une décentralisation plus lisible, ainsi que la garantie d’une autonomie financière et fiscale. Le Département est un maillon essentiel dans la vie de nos territoires mais aussi des habitants, des plus jeunes comme des plus âgés. Notre rôle est crucial en tant que collectivités des derniers kilomètres. La proximité avec nos concitoyens est notre A.D.N. Le département est une collectivité d’avenir !

Càd : Pourtant dans ce cadre, certains commencent, y compris localement, à remettre en cause l’échelon départemental. Une réaction ?
C.B. : Je crois qu’il faut savoir de quoi l’on parle avant d’émettre des avis à l’emporte-pièce. La question de la décentralisation mérite mieux que des déclarations qui suppriment d’un trait de plume telle ou telle collectivité. L’enjeu de la question de la décentralisation est plus sérieux que cela. Le sujet, c’est de sortir de cette “décentralisation inachevée”, au goût parfois amer, dans laquelle nous sommes. C’est une question de fond qui impacte les citoyens de ce pays qui attendent de la proximité et de l’efficacité des actions publiques que nous menons pour eux.

Càd : Quelle est votre réaction sur l’actualité nationale, notamment en ce qui concerne la loi “immigration” ?
C.B. : La question de l’immigration et de son contrôle est une question de fond pour laquelle près de trois quarts des Français attendent des réponses. Une loi sur le sujet est donc tout à fait légitime. Quant au texte de loi en lui-même, je crois qu’il est urgent d’attendre l’avis du Conseil Constitutionnel pour avoir une vision complète et juste du texte qui devra s’appliquer. Je reste en tout cas plus que jamais attachée aux valeurs de la République.