76 ans après ses débuts, il n’a rien oublié de ses sprints, de son duel face à Fausto Coppi, de ce vélo qui lui a permis d’acheter cash une 4 chevaux puis sa maison. Le Thisien René Ostertag se raconte dans un livre.

René Ostertag ici dans son garage avec un ancien vélo (photo prise avant le confinement).

Un coureur hors catégorie, René Ostertag était de cette trempe. Cycliste d’après-guerre, il a commencé le vélo entre Besançon et Émagny pour approvisionner chaque jour sa famille en lait durant la seconde guerre mondiale, qu’il pleuve, qu’il vente. Il avait 16 ans. “C’était 37 km par jour” se souvient René, qui coule une retraite paisible à Thise avec Hélène, son épouse. Dans son garage, il a gardé un ancien vélo toujours monté sur un home-trainer, comme s’il s’entraînait encore. En ce moment, le Thisien (94 printemps) a mal au dos, alors il se repose.
Sa particularité : n’être jamais passé professionnel malgré 350 victoires “et pas des courses de pissotière” dit-il, 432 places de 2ème, toutes auréolées de batailles épiques face aux cadors de l’époque que furent Adolphe Deledda, Louison Bobet, Charly Gaul, Roger Walkowiak… Il n’a jamais participé au Tour de France alors qu’il en avait sans doute les capacités physiques. C’est aussi un des rares à avoir distancé Fausto Coppi dans la montée du Locle.

C'était un dur au mal.


Dans son livre “René Ostertag, un nom, une passion”, on croise la route de Raphaël Geminiani et René Vietto à Chanteloup-les-Vignes, Roger Walkowiak à Chalon, et Jean De Gribaldy avec qui René Ostertag n’avait pas d’atomes crochus. Pire, c’était la guerre entre les deux depuis 1948. Au Tour du Doubs, l’équipe Peugeot aurait - selon M. Ostertag - triché en ramenant De Gribaldy grâce à l’aspiration des voitures. “De Gri avait ensuite gagné au sprint devant moi. Un coureur qui avait triché…” lâche René Ostertag qui n’avait pas que des amis dans le peloton.
C’était un dur au mal et parfois une grande gueule. Il assume, comme il assume ce nom à consonance “allemande” : “Mon nom remonte à la première croisade en 1205” écrit-il dans son livre. Pourquoi n’est-il pas passé pro ? “A 24 ans, Antonin Magne alors directeur sportif chez Mercier que j’étais allé rencontré à Paris m’a dit : “Tu es trop vieux pour devenir pro” se souvient le cycliste qui lui a alors répondu. “Peut-être, mais je suis frais.” À l’époque (1947), il revenait de la seconde guerre mondiale où il a contribué à la libération de Colmar avec la 2ème division blindée dans laquelle il conduisait un char.
René s’est mis en selle en 1947, trois ans après sa première victoire (1944), le Premier Pas Dunlop. “C’était une course réservée aux moins de 18 ans, on partait de Besançon, on montait Épeugney, Cléron, Pugey… pour arriver au vélodrome. J’ai gagné devant Raoul Hosotte et remporté une paire de boyaux. C’était de l’or en 1944.” A 94 ans, René se souvient encore du lieu où il a lâché son compère : la montée de la Grette.
Fils de Pierre, gérant d’un magasin de cycles rue Battant, René a baigné dans l’univers du deux-roues avant que son père ne soit déporté par les Allemands pour avoir publié le 11 novembre 1941 un tract honorant la victoire de 14-18. Il a aidé sa maman, s’est forgé un caractère. Ses adversaires diront de lui que c’était un “emmerdeur” comme son ami et adversaire Antonin Rolland (porteur du maillot jaune et vainqueur de deux étapes sur le Tour de France). “Je passais bien les bosses et je gagnais au sprint, analyse René. Le vélo, c’est dur quand on a le vent dans le nez. Les ennemis du vélo, ce sont le vent, les bosses et la chaleur.”
Un travailleur, René l’était. Après une course de 200 km remportée à Bourg-en-Bresse, il est revenu à Besançon à vélo ! René raconte également ses premières victoires, ses premières primes. “J’ai gagné 15 000 francs en 1947, plus 100 francs du km à ma première course que je courais pour Terro. À Dijon, j’ai gagné le prix Cuir de France : 19 000 francs. À l’époque, un ouvrier spécialisé en gagnait 1 000. J’ai pu avec les primes acheter une 4 chevaux cash puis mon terrain et ma maison à Thise.” Il raconte ensuite sa fin de carrière, son travail de commercial d’abord chez Citroën puis à la S.M.C.I.
René Ostertag suit toujours de près le cyclisme, ce sport qu’il désigne comme “une école de la vie.” La sienne fut bien remplie.

“René Ostertag, un nom, une passion”
Éditions Ç
18 euros

René Ostertag, chez lui, avec son ouvrage.

Cet article vous est proposé par la rédaction de La Presse Bisontine
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